lundi 29 mai 2017

Jean-Henri Fabre dans La Cause Littéraire

« Que de fois aux dernières lueurs du soir, ne m’arrive-t-il pas de le rencontrer lorsque, faisant la chasse aux idées, j’erre au hasard dans le jardin ! Quelque chose fuit, roule en culbutes devant mes pas. Est-ce une feuille morte déplacée par le vent ? Non, c’est le mignon Crapaud que je viens de troubler dans son pèlerinage ».
 
Merveille des merveilles, plaisir absolu de relire ces portraits d’insectes de Jean-Henri Fabre, le poète scientifique, l’entomologiste du roman de la nature, le génie de l’observation, du détail, l’homme qui se penche dans son jardin de l’Harmas à Sérignan-du-Comtat et voit tout, tout un univers en mouvement permanent, comme sa pensée qui virevolte telle une abeille. Dans sa préface éclairante, Philippe Galanopoulos note : « Fabre conserve (au contraire) le plaisir d’écrire et fait du style une marque de distinction. Il ne se soumet pas à l’orthodoxie du siècle : jamais il n’oppose la littérature à la science ». Jean-Henri Fabre a bouleversé la science, l’observation, et son style, sa manière, cette matière vivante, a passionné ses lecteurs depuis leur première édition en 1879, les scientifiques du monde entier, les lettrés et les écrivains – Victor Hugo, Remy de Gourmont, Maurice Maeterlinck, mais aussi André Breton et Roger Caillois sans oublier le subtil Gilles Deleuze, et Edmond Rostand : « Ce grand savant pense en philosophe, voit en artiste, sent et s’exprime en poète ».
 
 
 
Dans sa maison du Vaucluse, non seulement il observe, classe, dessine des insectes et peint des champignons, ses aquarelles visibles à L’Harmas sont éblouissantes. Les insectes vagabonds ont trouvé leur élégant observateur, il voit et il écrit, et sous sa fine plume Cigales, Grands Paons de Nuit, Scarabées, Abeilles, Pompiles, Bembex et Chalicodomes se révèlent, et vous révèlent leur monde, leurs histoires, leurs comportements. On ouvre avec Jean-Henri Fabre le livre de l’Odyssée des insectes – Victor Hugo le surnommait l’Homère des insectes –, l’aventure est là sous les yeux du vieux professeur, curieux de tout, et par tout ébloui, l’homme curieux et le savant savoureux.
 
« On s’agace dans les airs, on se poursuit, on se lutine. Lassé des ébats, tantôt l’un, tantôt l’autre des valseurs reprend pied sur les lilas et s’abreuve à l’amphore des fleurs. Tandis que la trompe plonge et suce au fond de l’étroit goulot, les ailes, en une molle oscillation, se dressent sur le dos, s’étalent de nouveau, se redressent ».
 
Beauté secrète que révèle le fourmillement du jardin, Jean-Henri Fabre est attentif au moindre frémissement, les Fournis le passionnent, il les suit au mot près, les Minotaures l’éblouissent, il surprend la Cigale et se laisse séduire par le Grand-Paon, il évite les Scorpions et croise les Mantes religieuses. Il est à l’affût et affute son regard et sa plume, il est précis, documenté et lettré, c’est un paysan de l’Académie, un chasseur Encyclopédiste, un aventurier du jardin, de cette savane de L’Harmas – sa Terre en friche en provençal –, sous l’heureuse protection du Ventoux et de Pétrarque qu’il a peut-être croisé en chemin.
 
 
 
« En juillet, aux heures étouffantes de l’après-midi, lorsque la plèbe insecte, exténuée de soif, erre cherchant en vain à se désaltérer sur les fleurs fanées, taries, la Cigale se rit de la disette générale. Avec son rostre, fine vrille, elle met en perce une pièce de sa cave inépuisable. Etablie, toujours chantant, sur un rameau d’arbuste, elle force l’écorce ferme et lisse que gonfle une sève mûrie par le soleil ».
 
On ne peut que se réjouir que le Castor Astral publie quelques portraits d’insectes de l’entomologiste et demande à Pierre Zanzucchi des dessins à la plume, Papillons, Fourmis, Minotaure, Mantes, gris et noirs, saisis sur l’instant entre deux lunes. Ce petit livre gracieux aurait d’évidence ravi le professeur de Sérignan-du-Comtat, il donnera l’envie de lire l’intégralité des Souvenirs de l’écrivain des talus, des chênes, des herbes sauvages et des insectes curieux.
 
Philippe Chauché


http://www.lacauselitteraire.fr/portraits-d-insectes-jean-henri-fabre

2 commentaires:

  1. Tout près du Vaucluse, c'est pourtant en Aveyron que j'ai découvert cet entomologiste exceptionnel sur sa terre natale. Je ne connaissais pas cet ouvrage et en garde précieusement les références. Merci

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  2. Merci à l'aventurier de Sérignan-du-Comtat, sa langue lumineuse et à plaisir rare. Belles lectures à vous. Ph

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