samedi 16 septembre 2017

Yannick Haenel dans La Cause Littéraire





« Cette population de pensées est un monde, et même les livres écrits et publiés par Melville ne suffisent pas à donner une idée de l’immensité qui peuple la tête d’un écrivain comme lui. D’ailleurs, il y a une phrase de Moby Dick qui évoque ce débordement : à propos du cachalot, elle évoque l’intérieur mystiquement alvéolé de sa tête. Eh bien, c’est précisément de cela que traitait mon scénario : l’intérieur mystiquement alvéolé de la tête de Melville ».
 
Il se peut qu’un grand livre soit écrit sous une divine protection marine, il se peut qu’un grand écrivain soit béni des fées. Il se peut que ce livre ait pour nom Tiens ferme ta couronne, et tout porte à croire que cet écrivain se nomme Yannick Haenel. Il se peut que ce roman, majestueusement cinématographique, soit saisi par les images et l’art secret de la mise en scène d’un cinéaste américain qui a filmé le cœur mystique de son pays, ses fureurs, ses cris et ses mensonges. Il se peut que ce livre majeur soit nourri du silence de l’aube, de petits éclats bleus, de visions et de noms.
 
Il se peut également que les noms habitent miraculeusement ce roman, comme ils ont habité CercleEvoluer parmi les avalanches, ou encore Le sens du calme et A mon seul désir, les noms témoins du temps révélé : Melville, Cimino, mais aussi Kafka, Hölderlin, ou encore Rembrandt. Melville, Cimino, deux noms qui vont poétiquement inspirer ce roman. Comme si le révélateur de Moby Dick et celui des Portes du Paradis renaissaient d’entre les morts, s’inspiraient mutuellement. Les mots et les noms, les images, et le souffle, voilà ce qui nourrit ce roman aventurier, la mer se lève, le ciel s’assombrit, mais une lumière continue à trembler dans le cœur du narrateur, une lumière italienne dans le ciel de New-York.
 
« Les ténèbres attendent que nous perdions la lumière ; mais il suffit d’une lueur même la plus infime, la pauvre étincelle d’une tête d’allumette pour que le chemin s’ouvre : alors, le courant s’inverse, vous remontez la mort ».
 
Tiens ferme ta couronne est cette lueur, cette étincelle qui renverse la mort, un roman inspiré où l’on croise Michaël Cimino, Isabelle Huppert, un producteur équilibriste, un dalmatien baptisé Sabbat que le narrateur perdra de vue, un joueur de poker affectionnant les armes, les secrets et les silences, une concierge échappée d’un film de Claude Chabrol, un maître d’hôtel au regard foudroyant, et une fée enchantée. Tiens ferme ta couronne est le roman d’une étincelle née de la lecture de Melville – Dans la fermeté de ce regard porté résolument en avant, avec une farouche énergie, s’exprimait une volonté de fer, une détermination invincible, un courage et une force d’âme infinis* – ébloui par le ciel de Paris et de l’Italie, roman d’aujourd’hui, embarqué dans une machine à remonter le temps et à l’apprivoiser. Le narrateur a sous les yeux son scénario, son Melville, mais aussi les images mouvantes et terribles des films de guerre et en guerre de Cimino et Coppola, les fracas des attentats qui ensanglantent Paris, la terreur qui s’invite et les douleurs que l’on sait, et comme remède, l’auteur de Mardi et la nacre : elle sauve l’instant où elle apparaît : une vie pleine de nacre, voilà ce que je désirais.
 
« Alors, j’ai prononcé à voix haute, en éclatant de rire, cette phrase qui était l’incipit d’un de mes anciens romans et qui, aujourd’hui, me semblait drôle : C’est maintenant qu’il faut reprendre vie. Et c’est vrai, c’était le moment – il fallait reprendre vie, il fallait trouver Léna ».
 
Lumineusement composé, ce nouveau roman de Yannick Haenel confirme, s’il en était besoin, qu’il figure parmi les grands romanciers français. Romancier vagabond, narrateur de clochards célestes qu’une phrase retourne, ces phrases talisman, hantent ses romans, des phrases qui sauvent – Sauve qui peut la vie, annonçait Jean-Luc Godard. Yannick Haenel est un romancier de la résurrection et du mouvement vers la lumière, à chaque pas que fait le narrateur de son nouveau livre, une nouvelle phrase naît et une nouvelle destinée se révèle. Romancier inspiré, il franchit des portes – le Paradis est là derrière, semble-t-il dire – qui s’ouvrent à des visions rares – Cimino en bateau face à la Statue de la Liberté –, des visions stupéfiantes – l’art du roman est l’art de voir ce qui ne se voit plus, ou ce que l’on ne veut plus voir –, comme des baleines blanches qui glissent dans les rêves de Melville.
 
Tiens ferme ta couronne est un roman touché par la grâce, comme le sont Cercle et A mon seul désir, un roman du désir, désir de vivre et d’écrire, d’inventer, de composer, désir de poétiser la vie, et de la rendre éternelle.

Philippe Chauché 

http://www.lacauselitteraire.fr/tiens-ferme-ta-couronne-yannick-haenel

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