« La même voix intérieure qui roulait en lui devait rouler en elle pour y charrier les mêmes mots. Il aurait suffi de lui redire les mots de sa voix intérieure et aussitôt elle les aurait reconnus, ces mots, aussitôt elle aurait su que la même voix parlait en lui comme en elle, qu’elle leur parlait à tous deux d’une même voix ».
Secret, le silence est le roman d’une voix, d’un corps et d’une voix, le roman du silence glacial, prélude de l’Enfer dans lequel semble s’enfermer l’inconnue, roman de « l’intelligence d’amour », cette intensité circulaire mise en lumière par Jacqueline Risset (1). Secret, le silence est le roman d’une passion, où le silence est une parole tue, parole de cette jeune femme tombée dans le mutisme, dans l’anorexie, dans le retrait absolu du monde, telle une sainte, que plus rien ne touche, ni n’atteint, comme plongée dans le renoncement aux éclats et aux embellies du monde. L’homme qui l’accompagne la découvre dans tous les sens du mot, décide de la libérer des griffes de la clinique où elle s’enfonce, la sauve de l’Enfer du silence, et ainsi se sauve.
Ils vont s’installer dans une grande maison près du front de mer, elle toujours silencieuse, les yeux clos, renfermée sur sa douleur inconnue, lui, la regardant dormir, la nourrissant à la petite cuillère, lui offrant toute sa patience admirative, ses attentions, son amour, qui ne dit pas encore son nom. Secret, le silence bascule en un instant, le corps de silence se livre et se cambre dans une jouissance libre – Il avait l’aveu de son corps, mais il aurait voulu entendre cet aveu de sa propre bouche, de cette bouche même sur laquelle, souffle à souffle avec elle, il le guettait en vain.
« Il consacrait un temps chaque jour plus long au plaisir érotique de la faire manger, de la faire boire, de la baigner, de la soigner, de la coiffer, de la maquiller. Il en multipliait les occasions. Et il voyait que ce plaisir, de plus en plus ouvertement sensuel, était de plus en plus partagé ».
Secret, le silence est le roman d’une passion, où l’inconnue occupe le cœur des rêves de son protecteur, roman aux multiples filiations romanesques, on pense à André Pieyre de Mandiargues, mais aussi à Georges Bataille, par instants au Marquis de Sade, à Vivant Denon – Point de lendemain – et aux Extatiques. La littérature porte en son sein, dans sa chair, ces éclats d’érotisme, ces tensions, ces saisissements, admirations et adorations, où le désir est foudroyé, où les mots ont du style et où le style transcende les corps – En t’offrant de devenir ta victime, c’est de l’amour dont je veux me faire la victime.
Secret, le silence est un roman qui se risque sur le territoire de la violence érotique, sur ce continent noir symbolique – En faisant appel à sa sauvagerie, il parvenait à raviver la sienne, comme une rédemption christique. Cyril Huot est le maître du temps et des corps, de ce roman précis, dérangeant et troublant, d’une rare force, roman d’initiation et d’admiration, un roman baigné de larmes et de silence, comme les yeux et les lèvres de l’inconnue, dont les éclats de beauté irisent ce roman unique.
(1) Dante écrivain ou l’Intelletto d’amore, essai, Seuil, 1982
Philippe Chauché
http://www.lacauselitteraire.fr/secret-le-silence-cyril-huot
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