samedi 13 juillet 2019

Ernest Pignon-Ernest et André Velter dans La Cause Littéraire










« Tenir Parole à bras le corps dans La Lumière et dans La Force ».
« Toujours & Toujours Attiser le Feu qui nous jette en Avant ».
« C’est le même Corps dans le Décor qui joue sa peau sans y penser ».
 
Ernest Pignon-Ernest et André Velter sont deux archers. Leurs flèches : pour l’un le fusain, la plume et le pinceau, pour l’autre la phrase et les mots acérés, ils se croisent, se lient et fécondent la poésie et le dessin. L’image chante dans son mouvement et la phrase l’illumine. C’est une main ouverte comme une offrande – on pense évidemment à celle du torero José Tomás (1) –, un pied ailé, un œil fermé de femme ombré de noir, un corps nu aux bras ouverts, comme une divine présence, un voilier dans le lointain, suspendu sur l’océan, comme les mouettes qui l’accompagnent : « Pour annoncer la couleur rien ne vaut le noir et blanc ».
 
 
 
« La main pense, l’œil écoute, les lèvres divaguent, les tempes s’évadent, l’imaginaire passe à l’acte ».
 
Annoncer la Couleur est un nouveau livre de deux complices à l’art affuté, ils dessinent et écrivent, comme s’ils se connaissaient depuis la nuit des temps, et nous n’avons aucun mal à les imaginer dans l’obscurité complice d’une grotte – c’est à leur façon leurs mains négatives –, dans une rue de Nice, à Certaldo en Italie, au Cap, à Paris, à Nîmes, dans la fraîcheur d’un temple chinois, où dans une pièce dérobée du Palais des Papes (2). Ils y invitent des anonymes, des Saintes, Pasolini et Rimbaud.
 
 
 
Ernest Pignon-Ernest et André Velter calligraphient et dessinent leurs grandes passions, et leurs belles colères. La feuille blanche, une fenêtre s’ouvre sur un monde nouveau, une joie, une douleur, une réjouissance, une clairière : « Pour arriver à percer le mur invisible qui toujours là, entoure » (Henri Michaux, Par les traits), ainsi de surprise en surprise la couleur s’annonce, comme un éclair qui traverse un nouveau livre, qu’ils écriront et dessineront.
 
André Velter publie également René Char allié substantiel (Rencontres et Correspondances, Photographies de Marie-José Lamothe), et Le babil des dieux, Oracles et chamans du Ladakh, Le Passeur Editeur :
« Nos cerfs-volants, pour peu que le Rhône, en sa pauvre sagesse nouvelle, les retienne en vue de Viviers ou de Tain, arriveront presque en même temps en vos mains, car les poèmes de 1975-1977 deviennent en ce moment un petit livre qui s’achève… Je vous l’enverrai sans tarder, le paquet ouvert » (René Char, 11 sept. 77).
 
« Aujourd’hui, ce sixième jour du septième mois de l’année tibétaine a été choisi, en fonction de la maturité de l’orge et du blé, pour être celui du début de la moisson, et les habitants de Shey ont rendez-vous avec l’apparence et le verbe de leur déité protectrice » (André Velter, Shey, 9 août 1981).
 
Voyages pour l’un en pays provençal chez René Char, aux Busclats, sa maison de l’Isle-sur-la-Sorgue, et pour l’autre dans la vallée de l’Indus au nord-est de l’Inde, lieu de croyances, de traditions magiques, lieu de transmissions.
 


 
« Quand nous quittons la pièce des oracles, sur cet édifice perdu du Toit du Monde, le soleil marque midi. Et je m’amuse à brouiller les comptes que j’ai eu tant de peine à ordonner. Et je bats les cartes du temps avec ce plaisir profond d’être pleinement au présent, pleinement là, ce quinzième jour du premier mois tibétain, au neuvième jour des rituels, avant que ne se réalise la sixième transe des Ihapa » (Matho, 10 mars 1982).
 
Ces deux livres flirtent avec deux Toits du Monde : l’un bien réel dans le Petit Tibet, l’autre tout autant vertigineux, celui de l’un des poètes les plus fulgurants du siècle passé, vertiges des alliances naturelles, et des éclats du verbe tout aussi vertigineux que les gouffres où l’on peut chuter si l’on n’y prend garde.
 
« Tes ailes sont flammes défuntes,
Leur morfil amère rosée.
Vient la pluie de résurrection !
Nous vivons, nous, de ce loisir,
Lune et soleil, frein ou fouet,
Dans un ordre halluciné »
(René Char, D’un même lienDans la pluie Giboyeuse, œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1983)
 
Philippe Chauché
 
(2) Ecce Homo, 400 œuvres exposées au Palais des Papes d’Avignon jusqu’au 20 février 2020.


https://www.lacauselitteraire.fr/annoncer-la-couleur-ernest-pignon-ernest-andre-velter-par-philippe-chauche

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Laissez un commentaire