samedi 1 février 2020

Michel Bernard dans La Cause Littéraire


« La parole de Jeanne s’enlaçait comme une liane vigoureuse, verdoyante, au questionnement sec et abstrait des prêtres, professeurs et maîtres qui la jugeaient, et montait plus haut. Il comprenait mieux comment elle avait pu séduire et entraîner seigneurs et soldats. Et puis elle était morte, encore une enfant, horriblement ».
 
Le Bon Sens poursuit ce chemin littéraire et historique ouvert avec Le Bon Cœur par Michel Bernard, écrivain de passions et de raisons. Jeanne d’Arc a été condamnée et mise à mort, Charles VII s’emploie à rendre la France à la France et à en chasser les anglais, fidèle à la mission que s’était fixée la Pucelle. Le Bon Sens est le livre de cette reconquête, celui du pardon royal pour ceux qui ont fait alliance avec les envahisseurs, mais aussi celui du procès en vérité de Jeanne, et la proclamation de l’arrêt annulant sa condamnation, le 7 juillet 1456. Michel Bernard s’attache et nous attache à ces hommes de Bon Sens qui vont participer à la mise au jour de la vérité, à la conquête d’une parole juste, à la mise en lumière des accusations et du jugement du tribunal qui l’a condamnée au bûcher pour sorcellerie.
 
Parmi ces hommes de qualité, ces grands témoins et grands passeurs de l’Histoire de France, Guillaume Manchon, gardien de manuscrits, grand lecteur et lumineux religieux lettré, fidèle serviteur de la vérité, témoin du procès dont il conserve précieusement les minutes – « Il se souvenait d’avoir été ce greffier consciencieux attentif à recueillir les paroles de l’accusée et de ses juges, l’auteur scrupuleux du document qui faisait foi ». Comme dans Le Bon Cœur (1), Michel Bernard dévoile ces hommes, militaires et religieux qui ont fait l’Histoire, pour certains par fidélité à la couronne de France, et ceux qui l’ont trahie par cupidité et opportunisme. L’écrivain sait comme d’aucuns en saisir les traits et les traces, comme il saisit en peintre attentif et précis les traces des paysages traversés par les hommes en armes, et les traits de ceux qui se retirent du monde après avoir offert sang et jeunesse à Jeanne et à la reconquête. Le Bon Sens est aussi le roman d’une passion, Agnès Sorel (un nom d’héroïne romanesque), que la mort éloigne à jamais de son roi Charles et que Jean Fouquet va saisir dans sa profonde et unique beauté.
 
« Sa blondeur, l’éblouissante pureté de sa peau blanche, le brillant de ses yeux bleus, ses lèvres délicatement renflées au dessin parfait, jusqu’à la palpitation de l’air autour d’elle étaient admirables. Il n’avait jamais vu une aussi belle peinture ».
 
 
Agnès Sorel par Jean Fouquet
Michel Bernard nous offre un roman d’une rare perfection, classique et racé. Il possède l’art de faire entendre l’Histoire et les histoires particulières qui la façonnent. Il vibre et nous fait vibrer avec ces hommes au Bon Cœur et de Bon Sensenfants de cette guerre qui dura un siècle, et c’est tout un pan de notre histoire collective qui se dévoile, et que l’écrivain façonne. Et l’on peut entendre, en écho, une autre défaite et une reconquête qui transformèrent la France au siècle passé, avec là aussi ses héros, ses traîtres, un pardon et une reconquête les armes à la main. Le Bon Sens fait entendre ces voix uniques qui ont résonné au 15ème siècle : Charles VII, Guillaume Manchon, Agnès Sorel, Jean Fouquet, Jean Bréhal, François Villon – Ce chant aux modulations subtiles et lumineuses n’était rien d’autre que l’art de parler français –, mais aussi Jeanne dont les mots scrupuleusement transcrits habitent la mémoire de ses fidèles amis, et enfin Thomas de Courcelles, ce courtisan sans âme, qui dissimule son terrible secret, son souhait durant le procès que Jeanne soit soumise à la torture : « Maître Thomas de Courcelles a dit qu’il paraît bon de l’y mettre ». L’écrivain inspiré saisit, par son fil d’or, les raisons du courage et les déraisons des trahisons, toutes les nuances d’une nation qui se reconstruit les armes en main, qui retrouve ses provinces, ses villes, et sa langue. Michel Bernard en dessine le deuil, l’oubli, les fidélités et la joie retrouvée, ses portraits sont admirables de justesse et de finesse, tant il est maître des couleurs et des formes. Michel Bernard est doté d’une plume parfaite, comme on le dit de l’oreille d’un musicien.
 
Philippe Chauché
 
 
 










1 commentaire:

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