« Je dis tour à tour Kyoto, Japon, Kyoto song, mais ce n’est jamais le mot juste, je sais seulement que cet endroit du monde est pour moi à la fois le pays réel et le pays mental, qu’il est très fragile et qu’il pourrait d’une seconde à l’autre disparaître, comme tant d’autres choses ».
Kyoto song est le récit inspiré d’un voyage à Kyoto de l’écrivain et de sa petite fille Lisa, âgée de dix ans, curieuse, joyeuse, et attentive : « j’ai envie d’être encore une enfant pour voir le Japon ». Un voyage odorant comme des fleurs des cerisiers, vibrant au rythme des haïkus de Bashô : « Dans le chant de la cigale, rien ne dit qu’elle est près de sa fin ». Un voyage placé sous très haute protection littéraire, Paul Claudel, Roland Barthes, Sōseki ; et cinématographique, Yasujirô Ozu : « (C’est que) tous ses films n’en forment qu’un, ils sont le grand roman qu’il n’a pas écrit, mais filmé ». La voix unique de Colette Fellous vibre à chaque page de Kyoto song, comme elle vibrait lorsqu’elle proposait ses Carnets nomades sur France Culture.
Ce livre est un carnet nomade, qui fait se rencontrer le Japon, ses passions, mais aussi son enfance, les douleurs, les pertes, et l’affront absolu, la barbarie d’un viol. Colette Fellous a une voix et donc un style. La petite Lisa a elle aussi une voix et du style, le style de l’enfance heureuse et perméable au monde et à ses découvertes. La voix stylée d’un écrivain, précise, qui vibre comme ces fleurs de cerisiers, et le souvenir de son grand-père, une autre voix de l’enfance, illumine son récit, le protège. Les souvenirs sont les fleurs du printemps précoce (1) de Kyoto song.
« Ce livre dont je ne connaîtrai jusqu’au bout que le frémissement car je le voudrais inachevé, irrégulier, poreux, grand ouvert sur le large, le voici qui court entre mes mains, je l’attrape, il se perd, revient, me fait signe, se cache, me tend les bras puis disparaît. Il ressemble à cette brise du matin sur les feuilles d’érable ».
Kyoto song est le récit de l’enfance retrouvée, touché par une belle exigence romanesque – « J’ai relevé le store de bambou lentement, j’ai entrouvert la fenêtre, à peine à peine, et j’ai regardé. C’était un samedi matin, je ne voulais pas déranger le paysage, juste regarder ». Ce livre vibre aussi d’heureux instants partagés, de moments où l’écrivain transmet son savoureux savoir à sa petite fille qui virevolte sous ses yeux. Le livre de l’enfance voyageuse de Lisa, du Japon silencieusement traumatisé par les séismes, et le Tsunami qui l’a retourné. Un livre gracieux et habité par d’heureux fantômes qui s’y sentent chez eux, écrivains et poètes – « J’ai laissé cette toute petite chose / que l’on appelle moi / et je suis devenu le monde immense ». Un livre où Lisa collecte les mots qu’elle découvre, et les note dans son carnet de voyage. Des mots qui révèleront ces instants offerts, ces rencontres, ces découvertes, ces visions du Japon. Comme dans la collection qu’elle dirige au Mercure de France, Kyoto song dévoile des Traits et Portraits du Japon, de son nouveau pays natal, mais aussi de son histoire, de ses joies, de ses illuminations, de ses douleurs, de la Renaissance annoncée, des Traits et Portraits habités par un sentiment absolu de l’écriture (2).
Philippe Chauché
(1) Printemps précoce est le nom d’un film de Yasujirô Ozu sorti en 1956.
(2) « J’ai de l’écriture un sentiment absolu », Roland Barthes
https://www.lacauselitteraire.fr/kyoto-song-colette-fellous-par-philippe-chauche
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