« La fréquentation de l’œuvre-cathédrale est indéniablement plus stimulante, plus éclairante aussi, que celle des minables autofictions et des œuvrettes fades et calibrées que l’édition contemporaine produit jusqu’à plus soif. Avant d’écrire, il faut lire et admirer, se laisser pénétrer par l’essence, l’éthique d’une écriture ».
Le Roman inépuisable est le livre d’une grande passion, d’une infinie passion pour l’art du roman. Philippe Le Guillou est un écrivain qui sait lire, un lecteur qui sait écrire, qui sait offrir ses souvenirs, ses admirations littéraires, et qui en quelques phrases dessine d’admirables portraits d’écrivains. Ils sont tous un bien commun, que Philippe Le Guillou a le bonheur de partager : le style et la langue ! Personne ne sera surpris d’y voir, réellement voir, Marcel Proust : tout en lisant la Recherche, les noms des lieux et des personnages sont pour l’écrivain un enchantement : « j’entends tinter la petite cloche ferrugineuse du jardin lorsque Swann arrive, je suis chez Léonie… dans le petit cabinet sentant l’iris où l’enfant fait l’expérience de la lecture, de la rêverie, des larmes et de la volupté ».
L’écrivain-lecteur est un goûteur qui a bon goût, ce goût du savoir et de l’aventure littéraire, a le talent d’offrir en dégustation ses livres éternels. Il dévoile dans ce Roman inépuisable ses escapades éblouissantes et étourdissantes dans sa bibliothèque, ses bibliothèques, de la Bretagne à Paris, et ses cartographies romanesques. Il nous entraîne dans les terres et la langue de Perceval – « ce creuset primordial de légendes et de songes » –, dans les tremblements des Liaisons dangereuses – « une splendeur, une exception majuscule » –, au plus près d’Atala, de René et dans la Vie de Rancé – « Le mouvement et l’éclaircie, l’irradiation de la phrase ». Le charme du Roman inépuisable tient aussi de tout cela, du mouvement, des éclaircies et des irradiations des livres qui miraculeusement apparaissent – lire m’apparaît toujours comme un miracle.
« Voyageur toujours, au début surtout, aède ronchonnant, vitupérant à la fin, pamphlétaire égaré, chantre de l’abject et de l’immonde, et perpétuellement mû par une force, l’émotion, et une hantise, son expression, dans le seul canal qui soit : le style ».
Les livres lus et relus par Philippe Le Guillou prennent sous sa plume un charme nouveau, un regard plus précis, ils ne cessent de prendre de l’ampleur et de la force, retrouvent une grâce que nous pensions perdue, ils sortent heureux et lumineux du silence où nous pensions qu’ils s’étaient cloîtrés.Le Roman inépuisable fait ainsi apparaître Balzac, qu’il n’aime guère, Hugo, qu’il admire et dont les personnages sont pourvus d’un haut degré d’incarnation, ou encore Flaubert au travail – « Une bonne phrase de prose doit être comme un bon vers, inchangeable, aussi rythmée, aussi sonore » (1).
Philippe Le Guillou n’oublie pas les écrivains catholiques, Mauriac, Bernanos, et Claudel – « le plus grand écrivain catholique du XX° siècle, le seul à même de pétrir la glèbe, de sonder les cœurs, d’embrasser le cosmos » ; convoque Michel Tournier – « l’emprise et l’ampleur, les sortilèges et le souffre, la poésie et le mythe » –, Malraux et ses Antimémoires, un livre vertigineux, ou encore Richard Millet, Philippe Forest, et François-Henri Désérable. Le Roman inépuisable n’est pas seulement le roman des écrivains célébrés, des livres admirés, des romans troublants et terribles, c’est aussi celui des éveils, des transformations, des découvertes, des illuminations de l’écrivain, et ses souvenirs surgissent comme des phrases échappées d’un roman inépuisable, qui tous les jours ne cesse de s’écrire.
Le Roman inépuisable est d’un inépuisable bonheur, et d’une inépuisable surprise. Philippe Le Guillou a bâti une bibliothèque cathédrale unique, tant elle résonne d’œuvres inoubliables qui fondent la langue française, une langue farouche et vive, gracieuse, troublée et troublante, une langue âpre, ciselée, amoureuse, revancharde, admirative, une langue qui a les pieds en terre, qui ne craint pas de prendre le large, et d’affronter les corsaires de la novlangue. Philippe Le Guillou, en passeur savant, connaît la saveur incomparable de sa langue, ce bien commun qu’il partage, son Roman du roman est son graal, qu’il dévoile et offre sous la protection de Jacques Laurent, le Hussard inspirateur de ce beau livre.
Philippe Chauché
(1) Lettre de Flaubert à Louise Collet du 22 juillet 1852
http://www.lacauselitteraire.fr/le-roman-inepuisable-roman-du-roman-philippe-le-guillou-par-philippe-chauche
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