« Dans le brouillard du temps,
un fragment de forêt perdu dans les Landes.
Souvenir d’un monde enfoui ».
« Masque, en latin médiéval, “masca, maska”,
c’est : la sorcière, le spectre.
Mon frère est un spectre ».
Wonder Landes est à la fois un roman de la crainte, celle de la disparition du père, et d’une nouvelle déflagration générée par le frère Pierre-Henri, aux identités multiples et volatiles, un frère flou, que l’on dira fou. Le roman des mensonges, des doutes, des découragements, et des saisissements lors du retour sur les chemins et les terres d’enfance, les chemins d’une reconquête familiale.
Dans ce roman, le narrateur devient le père de son père et celui de son frère, il est celui que l’on appelle, celui que l’on oublie, celui que l’on trahit, celui qui doit s’acquitter des dettes et des mensonges de la famille.
Au cœur de Wonder Landes, l’incarcération du grand frère, pour des délits et des crimes, un père qui hésite entre la survie et la mort, et le narrateur qui devient le confesseur de l’un et de l’autre, le phare qui sauve du naufrage dans la nuit, sans qu’il ne soit jamais assuré qu’on ne le trompe pas. Comme son titre l’indique, Wonder Landes est un roman fait de merveilles, de situations étranges, de surprises romanesques, même dans les pires turbulences, le narrateur résiste, comme résistent les arbres aux sautes des vents.
Qui est vraiment Pierre-Henri, qui se fait aussi appeler notamment Pierre Labruffe, Henri Devaux, Henri Wu ? Qu’a-t-il vraiment commis ? Où s’est-il caché et avec quels complices ? Comment son père a-t-il put devoir tant d’argent ? Wonder Landes pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses, le roman interroge ces hommes et leurs histoires fantasques, sous le regard du narrateur, ce jeune frère, vigile romanesque landais amoureux de Kim, une piquante coréenne qui comprend très vite ce méli-mélo drame familial.
« Ça fait douze jours que je suis dans les Landes, et quelque chose se rouvre en moi ».
« Cette affaire familiale
m’a éloigné du temps,
ou plutôt m’a… plongé dedans,
dans le magma délavé de ma mémoire.
Fragments, brides, miettes,
d’images, de visions, d’émotions,
où tout se mêle : présent passé futur ».
Alexandre Labruffe sait, et cela se lit et s’entend, que pour réussir un roman, il convient de faire vivre ses personnages, avec leurs doubles voire triples vies, leurs dérobades, les douleurs cachées, les mensonges, leurs manipulations, mais aussi leur force et l’attrait qu’ils déploient. Il sait aussi faire vivre une terre, ces chemins, ces bois, ces animaux sauvages qui s’aventurent dans le regard des hommes, ces odeurs, ces Cercles landais (1), où se refait le monde et la vie des villages, où naissent des Odyssées. Il sait enfin être attentif au style, aux styles, les mêler, les faire rebondir, et les croiser : descriptions, dialogues, échanges insensés de SMS qui sont des SOS, éclats poétiques. Son roman joue et se joue des tensions, des séismes et de l’amour qui ne dit pas son nom dans cette famille électrocutée par les courants de la vie. Même si la douleur et la mort rôdent, Alexandre Labruffe a le talent romanesque de faire se lever les disparus, de faire se lever la vie, comme la pâte d’un bon pain. Son roman tient de cet art artisanal où on laisse le levain transformer la pâte, lui donner de l’ampleur et une forme, comme se transforme le roman quand on sait le laisser reposer, pour qu’il pousse et possède cette saveur et cette légèreté qui en fait son originalité.
Philippe Chauché
(1) Les Cercles ont vu le jour vers 1830-1840, portés à l’origine par des notables gascons, en 1860 commerçants et artisans y apparaissent, puis ils se transforment et s’ouvrent à tous les habitants après le vote de la Loi de 1901. Implantés dans des villages des Landes ou encore de la Gironde, on s’y retrouve pour y lire le journal, échanger, boire un verre. Ils ont gardé des noms très politiques : Cercle de l’Union, des Démocrates (dans le roman), des Citoyens, de la Paix, des Citoyens.
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