« À partir d’une simple allure, d’une démarche glissante, latérale, à partir d’une barrette cardinalice – plutôt que l’imposant chapeau à houppes –, à partir d’une forme, un triangle en mouvement, le peintre janséniste, unique portraitiste du cardinal a imposé un genre, de manière définitive. Il a créé l’esthétique du portrait de pouvoir ».
Devant nous : un tableau signé Philippe de Champaigne où apparaît le cardinal de Richelieu, c’est cette apparition qui fonde Le mystère Richelieu, qui le nourrit et qui l’éclaire, comme nous éclaire Philippe Le Guillou, grand lecteur de l’épopée politique du cardinal. Arnaud Jean du Plessis de Richelieu eut un pied au XVIe siècle et son corps souffrant et glorieux se déplaça au XVIIe. C’est le siècle d’un homme qui embrassa le pouvoir, la gloire, suscita des jalousies, des ressentiments et des haines, qui brille dans ce livre. Le mystère Richelieu est le roman de ce pouvoir, le récit de cette épopée, de cet homme d’État, saisi au plus profond de son être par une « mystique de l’État », et c’est ce saisissement que décrit, que fait résonner Philippe Le Guillou, tout attentif qu’il est au parcours de ce religieux d’exception.
L’écrivain le rencontre au Louvre, il est vivant sous le pinceau du peintre des bleus profonds et des rouges éblouissants, qui a inspiré tant et tant de peintres modernes – « … mon regard détaille le jeu des plis et des ombres de la cappa magna, la souplesse et la fluidité de sa doublure soyeuse… ». C’est cette même souplesse et cette même fluidité qui nimbe ce livre, qui nous fait toucher des lèvres le cardinal, sa main qui ne tremble jamais, nous fait entendre ses mots et ressentir ses maux. Il va donc avancer ses pions, dans ce jeu de la guerre et du pouvoir, qu’il découvre. Il va se faire des alliés et des ennemis, prêtre, évêque de Luçon, député aux États généraux de 1614, « Le règne de la raison doit commencer ici, la vie du droit ne connaît qu’un élément vital – clarté et intégrité », aumônier et surintendant de la maison de Marie de Médicis, puis ministre de Louis XIII, le premier de tous, car il a une double vue, il voit la France, il se voit la servir, et il va la servir. Il y aura le temps de la grâce, celui de la disgrâce, puis le retour, paré des éclats de la légende. Autre moment essentiel dans sa destinée, le siège de la Rochelle, un peintre le montre bras croisés face à la violence de la flotte anglaise, il poursuit sa guerre contre la Réforme et la bruyante noblesse, et imagine enfin une académie littéraire qui deviendra l’Académie française.
« Le cardinal, comme dans les portraits glorieux de Champaigne, est toujours resté debout, seul, en mouvement, dans la majesté de la pourpre, parce qu’il s’agissait de ne surtout montrer à ses ennemis, et il n’en manquait pas, le moindre signe de faiblesse ».
Le mystère Richelieu est un lumineux portrait de ce fondateur, de ce grand serviteur de l’État, de ce religieux à la main d’acier, dont les tourments, les accidents, les douleurs n’ont jamais altéré sa passion première : servir le roi et la France. Philippe Le Guillou, hanté depuis son plus jeune âge par cette figure romanesque, lui rend peau, sang, cœur et mots.
Philippe Le Guillou inspiré par Philippe de Champaigne, fait littéralement vivre devant nous le cardinal en mouvement vers la gloire et la mort, c’est bien l’art du conteur qui, d’historien, se mue en romancier de l’Histoire de France.
Philippe Chauché
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