jeudi 7 août 2008

L'Envol des Déesses

Voyez-vous, les choses sont très simples et infiniment compliquées, c'est à dire qu'elles demandent à fois une disponibilité d'une légèreté absolue, et une concentration rare, c'est lorsque l'on a trouvé cet accord, Mozart n'est pas loin, que l'on peut avec allégresse embrasser le temps et saluer la beauté, c'est ce qu'il me dit dans ce café de l'Etoile où nous nous sommes une nouvelle fois retrouvés devant une coupe de champagne, et cela s'applique tout autant à ces beautés libres qu'il nous arrive de croiser, de séduire, d'entraîner dans quelques dérives nocturnes, qu'il nous arrive parfois d'aimer, qu'à cette toile dont je vous ai apporté une petite reproduction, cet envol des déesses, ces immenses Baigneuses qui dans leur extase tracent, ce qu'un ami que je vous présenterai un jour, appelle la résurrection du corps enflammé, ajoute-t-il en portant sa coupe aux lèvres, nous avons tous les deux une bien aimable distance instruite, qui nous rend finalement si dangereux, car notre savoir n'est autre que celui du peintre amoureux de ces modèles glorieux, du musicien attentif aux vols des martinets, de l'écrivain dont les phrases sont des épées dont le nihilisme ambiant ferait bien de se méfier.



" La plupart des critiques d'art ( Cézanne : " Ne soyez pas critique d'art ! Faites de la peinture ! Là est le salut ! " ) sont ici gênés par le " catholicisme " de l'auteur des Grandes Baigneuses, lequel, sur la fin, confesse qu'il ne peut plus aller, comme d'habitude, écouter la messe à la cathédrale d'Aix parce qu'un " crétin d'abbé tient les orgues et joue faux ", en ajoutant : " Je crois que pour être catholique, il faut être privé de tout sentiment de justesse, mais l'oeil ouvert sur les intérêts. " N'empêche : on ne plaiante pas, en 1905 - 1906, avec ces choses, pas plus qu'aujourd'hui. Le clergé anticlérical veille. Ce Cézanne a peur de la mort, disent-ils. Il a besoin de protection, il est un peu dérangé, on expliquera ça un jour par ses relations d'amour-haine avec son père, la psychanalyse n'est pas encore là mais il n'y en a pas pour longtemps. De toute façon, son diabète s'est aggravé. Il est de plus en plus susceptible, nerveux, irritable. Phobique ? Paranoïaque ? J'allais le dire. Il admet lui-même, dans sa correspondance, avoir des " troubles cérébraux ", vous voyez bien. Finalement, c'est un conservateur, pas un tableau sur la Commune de Paris, pas un mot, mais des réticences facilement amplifiables, sur l'Affaire Dreyfus, une amitié douteuse pour les régionalistes qui vont devenir, c'est forcé, plus ou moins fascistes, tout cela est suspect, et s'il " s'appuie sur Rome ", comme il le dit, c'est bien la preuve de sa faiblesse de caractère. Ainsi va le psychologisme courant, véritable plaie d'époque, taie immédiate sur l'oeil. Cézanne ne manifeste aucun intérêt pour la radieuse expérience humaine qui s'annonce, millions de morts en vue, camps d'extermination ? En effet. Il veut du temps, le plus de temps possible. " (1)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Le paradis de Cézanne / Philippe Sollers / Éloge de l'Infini / Gallimard

1 commentaire:

  1. Mais notre savoir vient aussi, souvent, de cette redoutable voie de sirène qui, d'un lointain d'allure si proche, nous assure qu'ils n'existent pas, ces peintres aux nus d'élévation, ces musiciens amoureux des vols de martinets, ces écrivains à la fine épée, qu'ils ne sont que mirages, qu'ils ne sont pas de ce monde, notre monde ! et qu'ainsi, parce qu'irréels, ils ne peuvent avoir aucun effet sur lui !
    Merci Philippe
    Amitié.
    Gilles

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