mardi 30 novembre 2010

Des Balkans, de la Guerre et de la Littérature



" Lorsqu'on a affaire à un ennemi dont l'esprit brouillon et impulsif le rend incapable de prévision, à l'image de la " Terre " sous le " Lac ", il y a avantage à profiter de son manque de sang-froid pour prendre l'ascendant sur lui. " (1)

Les démocraties comme les dictatures ont raison de se méfier des écrivains, non contents de faire flamber le réel dans leurs fictions ou encore d'embraser leurs fictions par le réel saisissant et dérangeant, ils se mêlent de démêler le faux du vrai et le vrai du faux, mais sans épouser cela va de soi la moindre posture " journalistique ". C'est en écrivains qu'ils " enquêtent ", et c'est bien là note-t-il, tout l'intérêt de ces deux livres de David di Nota.

Mais avant d'aller plus loin, ajoute-t-il, rappelons que l'on doit aussi à l'auteur, ajoute-t-il, un petit ouvrage piquant et joyeux (1). Écoutons :

" Un jour, alors que je me promenais non loin de chez elle, je l'aperçus à quelques mètres de moi. Elle n'était pas en train de lire un livre ou d'étudier ses fiches. En fait elle émiettait un petit Lu devant la statue de Balzac. Nous étions en novembre, et le vent glissait le long des rues humides. Je n'ai pas voulu m'approcher, et je suis resté en retrait, feignant d'attendre un bus. Elle a fini son petit Lu, puis elle s'est réchauffé les mains. Ce n'était pas une jolie fille, je pense qu'elle avait un visage trop anguleux pour cela. Peut-être négligeait-elle aussi de se mettre en valeur, hormis les jours d'été, où sa poitrine, sous la frêle découpe d'un chemisier de lin, se détachait nettement de ses épaules étroites. Son corps dégageait cependant une impression d'apesanteur étrange. " (2)

" Une demi-heure plus tard, alors que je patientais, en plein vol, devant la porte des toilettes ( rentrant toutefois le ventre afin de laisser passer les hôtesses ), l'identité de cette jeune femme me fut révélée dans des circonstances étranges. La porte s'ouvrit sur un homme en manches courtes. Cet homme était censé quitter les lieux, mais, plutôt que d'en sortir, il me fit un clin d'oeil en reniflant d'un coup sec.
- Vous n'aurez pas manqué d'être curieux de son prochain tournage, j'espère.
- Que voulez-vous me dire ? demandai-je.

Alors seulement il remit ses bretelles.
- La femme qui est assises à côté de vous.
- Et bien quoi ?
- C'est Monica Bellucci, reprit-il, l'actrice.
A ces mots, je me tournoi vers la rangée d'où sa petite tête émergeait sur le carré vert et bleu de la compagnie Alitalia. Je restai un long moment suspendu, réfléchissant à la perspective qui m'était offerte de séduire cette jeune actrice plus avant. Le sujet de conversation était évidemment tout trouvé. Pourtant, je décidai de n'en rien faire. ( Entre Monica et moi, ça ne pourrait qu'être sexuel, pensai-je. ) (2)


Il est temps, de plonger dans ce que l'auteur nomme à juste titre la gesticulation onusienne à Srebenica. Une gesticulation spectaculaire que tout le monde semble avoir oublié, tant l'intensité des guerres visibles et invisibles occupe nos chers humanoïdes.
Et pourtant, il faudra bien se résoudre à activer sa mémoire, si mémoire il y a :

" La tendance est et restera celle du multilatéralisme onusien, avec les conséquences facile que l'on peut en tirer touchant le sort des massacres à venir et des individus précis, os, chair, cheveux. La folie des États, qui est une folie structurelle, a besoin de ce nouveau mensonge-là. Le yaltisme a changé de style. Il n'est lus temps d'abandonner les petits peuples, Hongrie ou Tchécoslovaquie, à cette Europe de l'Est, d'ailleurs imaginaire, qui nous convient. Pour contenir les afflux migratoires consécutifs aux guerres civiles, il devient plus pratique de jouer à l'humanitaire en parquant les suppliciés à leur place. " - Sur la guerre - (3)

Les écrivains, note-il, ne manquent pas d'air, on les invite à rester cloîtrés dans leurs petits romans familiaux-érotico-sentimentaux-télévisuels, mais ils se déploient sur des terres d'aventures romanesques et réelles ( les deux font la paire ) au risque d'y " laisser des plumes "- le cas Céline en est la vérification permanente, et la haine que lui portent les tenants de la moraline sociale est loin de disparaître consommée par les feux du temps, et nous ne dirons rien d'H. Melville, de Ph. Sollers, M. Houellebecq ou V. Retz.

L'écrivain le précise en deux phrases :

" Une enquête est d'abord une enquête dans le temps, et tous les visages se renversent ou se décomposent éclairés sous un certain angle. Proust a raison : le temps se retourne comme un gant, mais ce n'est pas toujours un petit pan de mur jaune qui l'indique. " - Sur la guerre - (3)
Alors lisons, acte d'aventure s'il en est :

"... Mais que savent-ils au juste ? Rien, si ce n'est que la guerre est horrible. J'ai presque envie de leur répondre que la paix est horrible, et que la guerre est un bienfait, mais je m'assieds avec telle douceur, et, comment dire, une telle compénétration, qu'il devient très vite évident que nous allons nous plaindre, tous en choeur, de son absurdité. " (3)

" Parce qu'il entendait rétablir la paix, le général était partisan de la méthode forte. Mais lutter par la force eût signifié mourir pour les Balkans, une perspective tout à fait inimaginable alors que les intérêts vitaux des pays contributeurs n'étaient pas engagés. Au bout du compte, mieux valait tabler sur la négociation. Armés de ce principe, les soldats de la paix s'étaient moulés dans la guerre sans infléchir le moindre front. " (3)

" En somme, le général était un homme en colère, et c'est ainsi qu'il apparut aux diplomates réunis à New York. Que les belligérants soient accueillis à bras ouverts dans les chancelleries, que les civils soient parqués dans des camps où les enfants étaient opérés sans anesthésie et que les soldats de la paix soient dépendant du bon vouloir des chefs locaux, voilà qui, de toute évidence, semblait irriter le général. " (3)

" La cuisinière était assise dans le jardin. Je n'étais pas censé l'interroger sur la guerre, et nous parlâmes de choses et d'autres.
- Vous avez une petite amie en France ?
- Je crois.
- Et vous l'aimez ?
- Si on adopte la définition minimale de l'amour, oui.
- Quelle est la définition minimale de l'amour ?
- L'amour, c'est quand on souhaite coucher avec la même femme deux fois de suite.
- Effectivement, conclut-elle, c'est une définition minimale.
Un court instant, j'ai cru qu'elle allait me parler du siège de Sarajevo, mais elle ne s'est pas démontée, et j'ai dû me rabattre sur la vie. " (3)

" Dans un dispositif militaire conséquent, une armée doit pouvoir :
. un, savoir qui est l'ennemi
. deux, le frapper aux endroits stratégiques
. trois, neutraliser les contre-attaques en disposant d'une profondeur adéquate
. quatre, pratiquer le renseignement au niveau nécessaire.
Sans ces quatre principes élémentaires, il impossible de faire la guerre pour de bon ; tout autre déploiement relève de la parade, ou du folklore. " (3)


C'est notamment de ce folklore onusien et européen dont il est question dans ces deux livres, ils n'ont rien d'indispensable, simplement deux livres écrits sur le motif.

" Un gouvernement est fait pour gouverner et une armée pour faire la guerre, non pour servir d'auxiliaire à des juges. Voilà le genre de philosophie peu sympathique que nous aurions dû étudier, au lieu de quoi nous nous sommes enthousiasmés à la création du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et nous avons interprété le procès de Milosevic comme une avancée juridique remarquable. Mais il faut voir les conditions de ce procès : refuser que les vainqueurs soient possiblement inquiétés, botter en touche dès lors que notre position au cours de la guerre ( et notamment lors du massacre de Srebrenica ) se révèle compromettante - quelle sorte de justice est-ce cela ? Refuser de mettre fin au génocide des Bosniaques lorsqu'il se déroule sous nos yeux, puis de dépêcher de juger les coupables une fois que le mal est fait, à qui veut-on faire croire qu'il s'agit d'un procès moral dont les Européens auraient à se féliciter ? Un jour peut-être, des archéologues se pencheront sur notre petite époque passionnément éprise de Justice internationale, et, après s'être amusés entre eux dans une des succursales de la Sorbonne, ils intituleront leur colloque : " Les Kantiens ont-ils cru en leurs mythes ? " (4)

Il est amusant de constater que ces deux livres ont soit été ignorés soit vilipendés, " d'un Château l'autre " avait déjà ouvert le feu !

à suivre

Philippe Chauché

(1) Les 36 Stratagèmes / Manuel secret de l'art de la guerre / traduct. Jean Levi / Rivages Poche / Petite Bibliothèque
(2) Projet pour une révolution à Paris / David di Nota / L'Infini / Gallimard (3) J'ai épousé un Casque Bleu / Sur la guerre / David di Nota / L'Infini / Gallimard (4) Bambipark / Têtes subtiles et têtes coupées / David di Nota / L'Infini / Gallimard





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