Pour qui sait écouter, pour qui sait être saisi par l'art du saisissement, pour qui porte grande attention à Mozart et à ses pianistes, il existe une artiste - peut-on autrement la nommer ? - qui a traversé le siècle passé comme un astre noir, chutant et se relevant, doutant et incendiant, tremblant et donnant à la lettre sa netteté première, sa juste mesure, sa réelle portée, sa profonde force, sa nécessité, sa gloire secrète, son alchimie première, ses doutes et sa vérité, son nom : Clara Haskil.
Pour s'en convaincre, si besoin est, il faut écouter, non comme l'on écoute ce qui aujourd'hui s'impose dans le bruit assourdissant dominant des fâcheux, mais dans la tension qu'impose Mozart, il faut écouter précise-t-il, les 4 sonates pour Piano et Violon, qu'elle a enregistré en 1958 avec Arthur Grumiaux, musique d'une intérieure incandescence, musique qui se saisit du Mouvement du Temps et le porte au point rare de la liberté libre du musicien, ce qui veut dire à ce qui est écrit : " Je ne conçois pas Mozart, je le joue tel qu'il est écrit. " (1), toutes les interprétations frivoles, guindées ou vulgaires s'en trouvent à jamais oubliées, et il en vient à rêver à un metteur en scène de théâtre qui ne dirait pas autre chose, et qui " s'en tiendrait à ce qui est écrit " chez Molière, Racine ou Shakespeare, sans s'obliger à nous obliger à supporter de vieilles inventions prétentieuses dont le seul objectif caché est de nous faire oublier, ajoute-t-il, le texte, ce qui est écrit, et tellement bien écrit - les mauvais lecteurs font toujours les mauvais metteurs en scène - Clara Haskil savait mieux qu'aucun autre lire ce qui s'ouvrait devant ses yeux troublants et troublés, et ses interprétations en sont d'une transparence des plus admirables, elle fait corps de son corps douloureux avec l'art absolu de la musique, qui en d'autres temps plus anciens troublait le plus musicien des philosophes.
Ce mois de juillet Diapason a la bonne idée de consacrer quelques belles pages à notre pianiste, lisons :
" On aimait chez elle la fragilité, ce qu'on appelait la pureté esthétique, la limpidité du style, le fait que jamais elle ne s'interposait entre l'oeuvre et son auditeur. Commentaires, en réalité, qui étaient plutôt une façon de voir que d'entendre : Haskil était relativement âgée, de santé précaire, bossue, et le public pensait qu'elle allait mourir avant même d'arriver au piano. ll entendait donc ce qu'il voyait. " (1) Mais ceux qui l'ont entendu en la voyant, ceux qui l'ont vu en l'entendant, savent ce que voir veut dire et ce qu'écouter signifie, le réel est toujours mille fois plus troublant que l'imaginaire, Clara Haskil était pianiste du réel de la musique.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Clara Haskil - Le soleil noir du piano - Diapason - n° 604 - Été 2012
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