vendredi 28 mars 2014

Jacqueline Risset dans La Cause Littéraire

 
 
 
« A présent le soleil darde (c’est le mot : dard de guêpe) à travers le feuillage de l’olivier – sa lumière aiguë, qui fait que si je le regarde en me croyant protégée par les feuilles en nuage de l’arbre, je reporte sur cette page une infinité de taches qu’il m’impose, et je vois en face, dans le jardin, les coussins de la balancelle flamber de joie dans l’orange, et le bord de ma jambe briller et se tracer comme un trait vainqueur. Ah vive lui, vive l’astre, et vive la merveille, tant qu’elle existe, tant que nous existons ! »
 
Coïncidence du temps : je vois Jacqueline Risset prenant au vol ces instants, ces éclairs de vie, dans son filet à papillons. Image superposée à celle de Vladimir Nabokov (écrivain des éclairs), même légèreté, même justesse dans le choix des mots, des images, des situations, même sourire à la vie avec par instant un certain tressaillement. Sourire à la vie et à ses songes pour sourire à la littérature, des instants et des éclairs dont elle fait son miel. Les instants, les éclairs, les rêves et les amours de l’auteur pris dans les mailles fines de son écriture, dont le battement d’ailes annonce le printemps.
 
Les instants les éclairs accorde une belle confiance à la sensation, au plus immédiat, aux rêves qui volettent et s’y posent, aux expériences du vide où l’étonnement se transforme en liberté joyeuse, Rimbaud n’est pas loin, Proust attentif, et Dante protecteur.
 
« Tiens – il est six heures, le jour n’est pas encore là. Une cigale chante déjà dans l’arbre le plus proche, le grand olivier appuyé à la maison, une cigale vient de chanter, pendant quelques secondes, ou plutôt murmurer, dans le sommeil, semble-t-il, un commencement de chant – souvenir, trace, continuation de la journée passée, et à la fois annonce faite dans un demi-sommeil, comme se retournant dans son sommeil, de l’activité du jour qui se lève ».
 
Les rêves sont des instants, des éclairs, qui surgissent et qu’il faut prendre à la lettre et au sérieux sans se départir d’en sourire. Instants et éclairs romanesques qui murmurent ces mots et ces phrases au livre en devenir. Livre d’enfance, enfance de la littérature, saisissement du rêve et de l’amour, des rêves et des amours. Rien n’est jamais gagné, rien n’est jamais oublié, on passe du Purgatoire au Paradis, en faisant parfois escale en Enfer. Mais ici, point de plainte, point de gémissements, point de larmes, mais leurs éclairs et leurs instants d’éclats, car Jacqueline Risset vit sous la haute protection de la littérature.
 
« Ce matin, 12 avril, réveil dans une pleine nuit d’hiver encore, à Paris. Pourtant les marronniers sont en fleur, déjà, partout dans les avenues – moment du deuxième printemps – temps merveilleux dans le vert profond des feuilles aux doigts tendus écartés, la hampe délicate, les bougies en fête, blanches aux centres roses, et de temps en temps les têtes entièrement roses d’un marronnier différent, têtu, d’un rose pareil à la couleur rose des fraises écrasées dans la crème – rose comme couleur de délice à manger, ou comme promesse de délice ou d’éros, lorsque les joues tout à coup se colorent ».
 
Retour sur un temps présent : je lis Jacqueline Risset traduisant en musique La Divine Comédie, lisant Pleynet avec attention et Proust avec joie, embrassant la poésie amoureuse de Maurice Scève, et volant comme un papillon de l’italien au français, d’une langue l’autre, langue vivante qui fleurit chaque année et s’élève au premier chant d’une cigale, floraison de couleurs et de notes, comme des petits éléments de physique littéraire, des instants qui sont éclairs, et des éclairs instantanés.
 
Philippe Chauché
 

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