« Au commencement est le silence. C’est du moins ce qui me frappa lorsque j’assistai à ma première corrida, à l’âge de douze ans, il y a tout juste un demi-siècle. J’entendais bien les clameurs, les applaudissements, les sifflets, et surtout les injonctions criées aux protagonistes depuis les gradins… Mais à toutes ces manifestations, les hommes de lumière opposaient le mutisme le plus opaque. » François Zumbielhl – Le discours de la corrida – Verdier – 2008
Silence
des toreros, mutisme absolu de ces hommes de l’éphémère, ils savent que la
parole appartient finalement aux autres, à ceux qui voient – de loin – ce qui
se joue de près, se sacralise sur le sable. Les toreros parlent peu, écrivent
encore moins. Leur histoire, leur roman, leurs rêves, ils l’écrivent sur le
sable à cinq heures du soir, et cela
suffit semble-t-on comprendre, ou bien laissez-
moi seul avec ce taureau, et pour le
reste, nous verrons bien ! Les grands écrits taurins viennent
d’ailleurs, d’écrivains, Hemingway que Pampelune salue tous les ans pour
l’ouverture de la San Fermin, mais aussi Michel Leiris et sa littérature
considérée comme une tauromachie, Jean Cau qui quelques temps avant sa
disparition traversait en silence et à pas comptés – tel Curro Romero - les rues de Nîmes, José Bergamin et sa musique
tue (encore le silence !), Camilo José Cela et ses lumineux paradoxes de Toreros de salon : « Plus
facile d’affronter vraiment un taureau de l’inquiétant élevage de Miura que
d’en simuler le combat. », Joseph Peyré, Montherlant, Francis Wolff et sa
philosophie de la corrida, Jacques Durand dont tous les livres sont à verser au
bénéfice de l’art, de la matière et du style, Alain Montcouquiol qui a redonné
corps au corps déchiré de son frère d’armes et soie, Nimeño II.
Silence
de Joselito, visage souvent fermé, concentré sur sa musique intérieure, sur son
art secret. Silence de Joselito, l’une
des énigmes des années quatre-vingt dix, trop classique et trop moderne pour l’époque,
ne se confiant qu’en avançant la main et en se croisant devant ses taureaux, comme
l’on dit sur les gradins. Joselito, le gamin qui a grandi à « l’est de
l’Eden de Madrid », passant d’un chapardage, d’un chaos l’autre, affrontant
la rue en face, comme il le fera ensuite des taureaux. Puis à dix ans, il
franchit la porte de l’école taurine de Madrid, premier pas vers la
résurrection, premier pas sur le sable, pour oublier un peu plus tard les
combines et les mafieux.
Silence
de l’apprentissage, des chutes et des joies. Il renonce en choisissant. C’est
là, à l’école taurine, qu’il rencontre Enrique Martín Arranz, qui
deviendra son mentor, son père adoptif, son apoderado, son homme de confiance
pour les affaires taurines. Joselito déroule ainsi sa vie d’avant et d’après la
résurrection, d’avant, au centre, et après les taureaux avec la même sincérité
qu’il mettait à dérouler ses passes de la main gauche dans les arènes.
Sincérité du combat permanent pour dire enfin ce qu’il a dire. Les coups
pleuvent, les insultes, les rumeurs, les jalousies, les tromperies, les coups
tordus, le jeune homme de « l’est
de l’Eden de Madrid » se livre et s’y livre à livre ouvert, comme s’il
s’agissait d’un berceau de cornes.
« Le
torero doit associer la sensibilité d’un artiste, pour s’exprimer, et le
courage d’un guerrier, pour surmonter la douleur et la peur. Il faut pouvoir
conjuguer les deux modes du toreo, et ce n’est pas une affaire de matous, mais
de tigres.
Comme
le dit Antonio Corbacho, l’imprésario qui a révélé José Tomás, la mentalité du torero ressemble beaucoup à celle du
samouraï, qui se maintient ferme dans la bataille, même s’il est détruit de
l’intérieur. Tu dois penser et sentir qu’il n’y a pas de douleur, jamais, pour
aussi grave que soit le coup de corne que tu viens de recevoir. »
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