« La peur et la joie. Pile ou
face. On vit toute une vie avec ça. La peur ou la joie. Etre une pièce. On
tombe d’un côté ou de l’autre. On choisit, plus ou moins, de quel côté on
tombe. La joie est le dos de la peur. Quand l’une s’éloigne, on distingue le sourire
sur le visage de l’autre. On est les deux ».
Fantaisie de la littérature, apparition (ϕανταὓία) de l’art, ainsi
naissent les romans et les poèmes de Thomas Vinau. Ecrivain du réel pris sous
les éclats éblouissants de l’imaginaire, comme ces petites pièces que l’on fait
tourner dans sa main, et qui une fois lancées à bonne hauteur, retombent et
font jaillir en touchant le sol, des dizaines d’éclats romanesques, des
aventures microscopiques. La part
des nuages est l’apparition de
Joseph et Noé, le père et le fils. Le détachement et la fuite dans les branches
comme une fantaisie que le narrateur prend à la lettre : voici un
cerisier, j’en fais ma cabane, une arche,
comme Noé ses châteaux de sable. Fantaisie de la fiction, apparition d’une
tortue vagabonde, d’une flutiste appliquée, d’un clochard qui chatouille de son rire les orteils du céleste,
Altocumulus de tristesse, voyage au bout de la nuit nuageuse accompagné
d’écrivains boussoles.
« Le sommeil est une mer paisible
qui lui lèche les pieds. Sac et ressac de la fatigue. Langue chaude des songes.
Disparition touffue. Depuis l’arrivée de l’enfant, les siestes paresseuses sont
un lointain souvenir. Depuis le départ de la femme, les siestes crapuleuses
n’existent plus. A un moment il a pensé distinctement qu’il était sur le point
de couler. Puis il s’est laissé faire. Avec délectation ».
Fantaisie de La part des nuages, roman voyageur autour
d’un arbre, les yeux dans les nuages, le cœur en jachère, dans la délectation
d’un temps ancien retrouvé. Il célèbre à chaque page la jubilation de la
précision de son style. Thomas Vinau est un orfèvre de l’association de mots,
il sait la force et la souplesse de leur union, et le déchirement de leur
opposition. C’est un paratonnerre qui avale ses aspirations, ses inspirations
et toutes les énergies de nature. Un rien le fait sourire, un rien le fait
trembler, comme la feuille d’un cerisier, ou l’aide d’un papillon de nuit.
Fantaisie de l’attention à ce que vit et voit Joseph sur son arche et sous les
Stratus.
« On voit le halo, épais, fumeux
qui émerge de la terre, des forêts sombres, des arbres qui respirent, et de
l’eau plate et noire. C’est une armée de brume, nourrie de chaque souffle de
bête, qui grimpe à l’assaut du jour. Alors c’est ça l’histoire ? C’est
là-dessous, au fond de nos bas-fonds, que naissent les nuages ? Et ils
s’échappent dans le ciel avec la corde du jour. Ils se dispersent avec nos
rêves et s’enfuient derrière la lumière. Ils viennent d’en bas. Ils viennent de
nous ».
Apparition de la littérature, et
fantaisie du style. Thomas Vinau a la grâce joyeuse d’un géographe, il dessine
à main levée la carte de séjour sur la terre et au ciel de Joseph, une carte du
détachement qui tel un Cirrus s’ouvre et se déploie en boucle littéraire.
Philippe Chauché
« Je vous ai envoyé cet été au
moins 83 pneumatiques mentaux, 412 lettres télépathiques et 21 cartes en
pensées… Je vous pose des questions, je vous consulte tous les jours, et vous
êtes devenu, que vous le vouliez ou non, un véritable ami. De ceux qui sont
dans la pensée ». V.N.
« Des hauts et des bas j’en ai
aussi et c’est plutôt des bas qui règnent pour l’heure. Je n’y manque pas de
bonnes raisons. Sans compter les mauvaises. Mais j’ai maintenant le remède. Dix
lignes du Drame de la vie et me
voici ragaillardi ». J.D.
Que reste-t-il après ces années
d’échanges de lettres, de cartes postales, de dessins et de projets de
livres ? Un livre pneumatique ! Un livre dessiné où dansent deux
artistes équilibristes. L’un a tout vu, tout lu, dessiné, collectionné, peint,
sculpté, coupé, collé, assemblé, pratiqué l’art ludique du hasard brut. L’autre
s’emploie avec l’obstination d’un randonneur des sommets à attraper les mots et
les phrases dans son filet à syntaxes, magie aléatoire de l’invention
permanente, des mots nouveaux s’y glissent, et il s’empresse de les embraser
pour leur donner une nouvelle vie. Il en est au premier jour de la création.
Sous ses doigts, Le Drame de la vie
: « Jean Rien Novarina, racontez
l’histoire du boucan ! ». Maître mot de ce dialogue, de
cet acte inconnu :
enthousiasme.
« Il faut un sacré prodigieux
souffle pour remplir ces quatorze denses pages de cette stupéfiante
énumération. Elle ne faiblit à aucun moment, aussi pleine de vigueur à la
dernière ligne qu’à la première ». J.D.
« De vos expertes mains j’attends
tout. Toutes les surprises. Elles m’émerveillent vos expertes mains ».
V.N.
Que reste-t-il de ces années de phrases
liées et déliées, de ces couleurs échangées et partagées ? Mille plateaux
qui demain se livreront au théâtre de la réjouissance du verbe en mouvement de
l’un, mille curiosités attentives de l’autre qui ne cesse d’inviter son jeune
ami à lui en montrer encore plus, toiles et livres pris à la lettre. La
transmission a bien lieu, mais sans maître et sans élève. Les questions sont
précises, les réponses tout autant, l’enthousiasme partagé. Dialogue complice
entre deux artistes qui savent ce qu’ils ne veulent pas faire et qui montrent
et écrivent ce qu’ils font. Alors va naître l’idée d’un questionnaire hautement marrant, le peintre suggère au
montagnard de la langue qui l’a imaginéde
l’imprimer tel quel les réponses laissées en blanc, pour finalement
s’y livrer avec gourmandise.
« V.N. : Savez-vous
peindre ?
J.D. : Dans le langage courant
peindre signifie le faire en conformité des conventions usuelles. J’y suis
inapte. Ni bien doué ni bien exercé… Observez qu’il y a une façon de bien
peindre, tandis que mal peindre il y en a mille. Ce sont de celles-ci dont je
suis curieux, dont j’attends du neuf, des révélations ».
« V.N. : Avez-vous peint le
vide ?
J.D. : C’est capitalement le vide
qui est le champ d’opération du peintre, vu que c’est où la pensée a le mieux
liberté de s’activer et de se projeter. C’est là où tout se passe ».
« V.N. : Savez-vous
danser ?
J.D. : L’univers est une vaste
danse et la pensée n’en saisit rien tant qu’elle ne danse pas elle
aussi ».
Que reste-t-il de cette rencontre
unique ? Deux jours avant sa mort, le 10 mai 1985, Jean Dubuffet décline
l’invitation de son ami à assister au Monologue d’Adramélech, car voici venue l’heure où je m’écroule.
Novarina répondra en 1991 dans le catalogue de l’exposition Jean Dubuffet, les dernières années :
« Jean Dubuffet, je t’écris pendant la matière. Dans les cinq cent un
psycho-sites, j’ai dénombré 2006 personnages à qui j’ai donné des noms, comme
Adam donna des noms à toute la création des animaux défilant devant lui… Nous
ne voyons pas les psycho-sites, c’est nous qui leur apparaissons. Ils nous
disent que l’espace est ce trou curieux où nous sommes nichés, croisés dedans,
croisés à lui ». Ils se sont donc croisés dans ce trou curieux de l’espace
et rien ne dit qu’ils ne s’adressent pas quotidiennement des pneumatiques
célestes.
Philippe Chauché
Bonjour, Une réaction que j'ai publiée sur le site de Thomas Vinau en lien avec le livre mais aussi à votre commentaire qui y est publié. J'aime beaucoup votre expression "...pris sous les éclats éblouissant de l'imaginaire..."
RépondreSupprimerLes nuages de Joseph, Noé, Richard Brautigan et de Thomas Vinau, sont les pierres de Rogers Caillois;
"Le dessin splendide au cœur de la pierre ne figura jamais papillon, tamanoir, Vierge du rocher... . qui, en vrai, n'ont d'apparence que celle que leur prête l'imagination de l'homme. Il n'y eut jamais d'image, jamais de signe... Amorphe, la matière n'obéit qu'aux lois physiques élémentaires".
Roger Caillois poursuit un peu plus loin;
"Je ne parviens pas à me défendre de la conviction que ces fougères fausses avertissent l'esprit qu'il est de plus vastes lois qui gouvernent en même temps l'inerte et l'organique"
Prosper Divay commente; "Roger Caillois attends de la pierre une révélation de son mystère caché et croit à une autre vie pour elle.
C'est une forme d'espérance et de foi, une forme de religion."
"Une forme d'espérance et de foi...", on comprends alors mieux pourquoi page 13 de "La part des nuages", Joseph éprouve une légère peur qui commence à l'envahir quand il ne parvient "plus à distinguer la moindre forme, le plus petit visage, dans les nuages."
Pour reprendre la très belle formule de Philippe Chauché, Joseph éprouve une légère peur de plus être "pris sous les éclats éblouissants de l’imaginaire,..."
Merci pour vos remarques, j'y suis très sensible.
RépondreSupprimerPhilippe Chauché
PS : de Caillois à Ponge en passant aussi par Nicolas Idier !
Merci pour les références, j'ai trouvé pour Idier mais je ne comprends pas le lien avec Ponge. Francis ?
RépondreSupprimerLe parti pris des choses !
RépondreSupprimerBien à vous
Philippe Chauché
Je suis un suscitateur
RépondreSupprimerJe m’aperçois d’une chose : au fond ce que j’aime, ce qui me touche, c’est la beauté non reconnue, c’est la faiblesse d’arguments, c’est la modestie.
Ceux qui n’ont pas la parole, c’est à ceux-là que je veux la donner.
Voilà où ma position politique et ma position esthétique se rejoignent.
Rabaisser les puissants m’intéresse moins que glorifier les humbles.
Les humbles : le galet, l’ouvrier, la crevette, le tronc d’arbre et tout le monde inanimé, tout ce qui ne parle pas…
Je suis un suscitateur.
Merci , merci, merci.
J'étais Cailloikiste, grâce à toi je suis devenu également Pongiste.
RépondreSupprimerIl y a aussi Queneau;
RépondreSupprimerMort comme une soupière
Mort comme une soupière
Mort comme l'ébrèchement d'une soupière
Mort comme le vide de la soupière
Mort comme un reste de potage figé dans le fond d'une soupière
Mort comme mille soupières
Mort comme dix mille soupières
Mort comme une souris noyée flottant à la surface d'une panade emplissant une soupière
Mort comme un chou plein de poux à genoux dans le fond d'une soupière
Mort comme une soupière
Vivant comme un caillou
Raymond Queneau in Le chien à la mandoline, 1965
Et avec ce poème, me voilà queneaué-cailloikiste !
RépondreSupprimerQuelle aventure, un nouveau texte sur Constellation est en ligne, en espérant autant de remarques.
RépondreSupprimerBien amicalement.
Ph. Ch.
La réponse précédente était fort mal renseignée.
RépondreSupprimerJe cherche et j'ai trouvé des poèmes au bord de la mer, comme on cherche des fragments de bois ou de pierre étonnamment travaillés et polis par les flots.
RépondreSupprimerHenry Thomas
Dans l’ombre des choses humbles
RépondreSupprimerL’odeur de la réglisse, du pierrot gourmand
De la semelle de caoutchouc
De l’essence
De la vie.
Georges PERROS