mercredi 26 novembre 2014

Aristote dans La Cause Littéraire



Parions pour commencer qu’il s’agit là d’un bain de Grèce, comme l’on parle d’un bain de jouvence, où la vitalité du penseur de Stagire gagne par strates celle du lecteur. Une nouvelle vitalité portée par le Temps et son déroulement, par ses successifs traducteurs, commentateurs, « le maître de ceux qui savent » pour Dante, et passeurs. Parions qu’une pensée molle, comme certaines têtes, ne résiste pas à ce passage du Temps, et qu’à l’inverse, une pensée dure – qui embrasse l’éthique, le politique, la physique, la métaphysique et la mathématique – ne cesse de prouver son actualité, notamment par son étude précise de la multiplicité du réel. Aristote, « le philosophe », est cela et plus encore, et cette édition de la Pléiade des Œuvres le vérifie par la vérité de l’œuvre mise à jour dans l’organisation de son Corpus, la mise à l’épreuve du réel par l’Athénien, et la finesse de sa mise en lumière par les nouveaux passeurs-traducteurs que réunit Richard Bodéüs.

De La Vertu et du Milieu : « Ainsi, quiconque s’y connaît fuit (alors) l’excès et le défaut. Il cherche au contraire le milieu et c’est lui qu’il prend pour objectif. Et ce milieu n’est pas celui de la chose, mais celui qui se détermine relativement à nous. Dès lors, si c’est ainsi que toute connaissance réussit à remplir son office en gardant en vue le milieu et en œuvrant dans sa direction – d’où l’habitude de déclarer, à propos des œuvres réussies, qu’on n’y peut n’y retrancher ni ajouter quoi que ce soit, dans l’idée que l’excès et le défaut ruinent la perfection, tandis que la moyenne la préserve –, et si, de leur côté les bons artisans, comme nous le disons, l’ont en point de mire lorsqu’ils travaillent, mais que la vertu, comme la nature, surclasse toute forme d’art en rigueur et en valeur, alors la vertu est propre à faire viser le milieu ». Ethique à Nicomaque – La Vertu – traduit, présenté et annoté par Richard Bodéüs.

Parions, pour poursuivre, que l’élève de Platon, lu par Montaigne, qui ne se privera pas de le critiquer avec la vigueur qu’on lui connaît, lu et relu par Heidegger qui n’a cessé de se penser en Etre Grec, lu aussi par Clément Rosset, ce qui n’a rien de surprenant pour le penseur du réel, parions donc que ses Œuvres ici rassemblées, et pour une grande part retraduites, vont pour le moins dissiper quelques malentendus, ou plus radicalement quelques mal-lus. Le savant succès d’Aristote ne change rien à l’affaire, on peut même dire qu’il l’aggrave, tant l’empreinte est puissante, étouffante, privant par son ombre portée tout lecteur épris de lumière, même accidentelle, il suffit donc de la contourner pour la voir réellement, comme si la réalité du philosophe devait pour bien se lire se voir de biais.

La vertu parfaite et l’homme de bien : « Pour qui allie beauté et bonté, par conséquent, les mêmes choses, en l’occurrence, sont à la fois avantageuses et belles, tandis que pour le grand nombre, il y a là désaccord, car les choses bonnes dans l’absolu ne le sont pas pour le grand nombre aussi, mais le sont pour l’homme de bien, et pour qui allie beauté et bonté, ce sont aussi de belles choses. C’est en effet à cause d’elles que lui exécute de belles actions en grand nombre, alors que celui qui croit devoir posséder les vertus en vue des biens extérieurs, c’est par accident qu’il exécute de belles choses. L’alliance du beau et du bon est donc vertu parfaite ». Ethique à Eudème – La vertu parfaite – traduit et présenté par Richard Bodéüs et annoté par Louise Rodrigue.

Parions une nouvelle fois que le philosophe de l’expérience sensible gagnera à être lu et relu en papier bible, ce qui au bout du compte lui va bien. Parions que cette œuvre savante et savoureuse se lira en toute liberté, sans que sur elle ne pèsent quelques doctes commentaires qui n’ont cessé de l’accompagner depuis des siècles quitte à la priver de ses nerfs et de ses muscles. Misons surl’étonnement admiratif que procure la lecture pas à pas et ligne à ligne d’Aristote.

Du plaisir et des arts d’imitation : « Puisque apprendre procure du plaisir tout comme admirer, sont aussi forcément agréables les choses telles que celles-ci : les arts d’imitation, comme la peinture, la sculpture, la poésie, et toutes les bonnes imitations, même si l’objet imité n’est pas lui-même plaisant ; car ce n’est pas cet objet qui réjouit, mais on infère qu’il est comme ça, si bien qu’à l’occasion on apprend quelque chose à son sujet. Sont aussi agréables les évènements imprévus et le fait d’échapper de peu à des dangers, tout cela suscitant, en effet, un étonnement admiratif ». Rhétorique – Du plaisir – traduit et présenté par André Motte, et annoté par Vinciane Pirenne-Delforge et André Motte.

Philippe Chauché 

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