« (C’est pourquoi) il me
semble que j’étais destiné, dans le fond, à l’adoption plutôt qu’à la
génération. Il était dit que je n’allais pas donner la vie, mais que
j’en sauverais une.
Je ne ferai donc pas souche, mais greffe ».
Berceau est le récit de cette greffe. L’adoption de Ziad ne sera pas simple, elle passera non sans mal à travers le filet du grand projet de réislamisation des sociétés arabes, par rejet des idéaux séculiers du monde occidental, lancé
par les Frères musulmans, le « Printemps arabe » est aussi passé par le
Maroc. Durant plus d’un an, l’auteur et sa compagne vont
quotidiennement voir et accompagner à la vie leur enfant en devenir. Berceau est ce récit à prendre à la lettre, comme l’on prend à la lettre les romans de l’écrivain.
« Ayant donc compris que j’étais un
homme de lettres, autrement dit que les mots exerçaient sur moi une
puissance de séduction, Ziad s’est toujours fait fort de me parler, et
cela très tôt. Les premiers temps, il n’était pas rare que, ce faisant,
des bulles lui vinssent aux lèvres. Enfermeraient-elles des mots ? me
demandais-je alors, penché au-dessus de son visage, la main placée en
cornet autour du pavillon de l’oreille ».
Berceau est cette bulle
qui s’élève à mesure qu’avance le récit. Une bulle vivante, vivifiante,
transparente, troublante, touchante, souriante, effervescente. Une bulle
de mots et de phrases qui témoigne tout autant de l’attente de
l’adoption autorisée et définitive, que de sa transcription littéraire.
La littérature l’emporte toujours ici, comme ailleurs, face à
l’arbitraire ancien ou nouveau. Ce récit est le roman de l’enfant
devenu, sous le regard et la plume du père-narrateur. L’enfant devenu,
Ziad, ignore encore toute la foisonnante richesse du style de son père,
cette phrase tissée d’éclats de nacre et d’or comme un lever de soleil
sur l’Atlas. Cette grâce du savoir et de la saveur du mot qui en épouse
un autre pour enfanter une phrase.
« Il est vrai que les fées se sont
penchées sur son berceau : carnation soyeuse, au teint de caramel ;
crâne d’une rotondité parfaite, de l’occiput jusqu’au bas du front ;
grands yeux noirs aux longs cils curves et moirés ; lèvres charnues et
mignardement ourlées – Ziad est sans conteste un enfant magnifique. Il
est en outre extrêmement gracieux ».
Berceau est sans conteste un
récit extrêmement gracieux, dans sa joie et sa gravité, béni par des
fées attentives au destin de l’enfant devenu, de l’écrivain et de sa
compagne, témoin d’un instant du temps raconté et de l’Histoire
marocaine vécue. Récit qu’illumine le regard de l’enfant Ziad, éclair
qui dilate l’attente et emballe les cœurs des parents devenus.
« C’est l’odeur du monde que je transporte avec moi, le parfum de l’ailleurs ».
On ne pouvait imaginer plus beau berceau
pour l’enfant devenu, la langue française, terreau de cette greffe qui
est en train de prendre vie.
Philippe Chauché
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