lundi 28 septembre 2015

Michel Chaillou dans La Cause Littéraire

« Début d’une volonté de tenir un journal. Temps d’acier froid. Je cherche la construction de L’Islande. Ai pris le bus long de Seine. Un jeune homme mâchait un début de vie chewing-gum. Ai croisé Jorge Semprun. Cheveux blancs, bel imperméable. Son œil m’identifia légèrement ».
 
« Il va être 18 heures. David improvise au piano dans le salon. J’essaie de me remettre à L’Hypothèse. J’en suis à la page 42. Il me faut déguiser le sujet, ne jamais l’avouer, sauf dans les dernières pages ».
 
 
 
Vingt-cinq ans séparent ces deux impressions littéraires, vingt-cinq ans d’un Journal romanesque et sentimental que l’on découvre aujourd’hui avec bonheur et surprise. Michel Chaillou, l’œil vif, le corps attentif à ce qu’il vit et à ce qu’il voit, à ce qu’il imagine, nourrit ses fictions et s’en nourrit jour après jour. Vingt-cinq ans de courtes notations, d’évocations, de brèves remarques météorologiques : – Il pleut. Soleil, temps vif qui agace le sang – mais aussi familiales : jeunesse de David, musicien en devenir et futur compositeur – un Journal sert-il à faire ses gammes ? –, fidélité réciproque à Michèle, troisième œil du manuscrit.
 
Principe actif du Journal : les livres, ceux que Michel Chaillou écrit, et ceux qu’il lit –  Alexandre Dumas : Je rêve d’écrire un roman de cape et d’espritJe cherche le début de La France fugitive, relis Sterne. J’aimerais à son exemple commencer dans la désinvolture légère. Vingt-cinq ans de littérature : ses livres se construisent avec lenteur dans ce Journal, deux mots, trois interrogations, des doutes, des joies. Il en porte la trace, les traces, de celles qui se devinent le matin dans la boue d’un sentier, après le passage nocturne d’une bête sauvage. Vingt-cinq ans d’attachement à la langue française et au style, à ce travail quotidien sur cette écritoire, où les mots sont polis et assemblés, où ils se voilent et se dévoilent dans leur simplicité, où chaque personnage, chaque intrigue est une pierre, que l’écrivain – cet artisan du doute – s’emploie à rendre précieuse.
 
« Rentrée difficile. Voiture défaillante, bouchons. Halte à Montbrison. Le pays ne me parle plus, je n’entends plus sa voix… Chez un écrivain la langue raconte. Cela l’important dans un texte. Les mille voix du temps, le chœur de nous-mêmes ».
 
« Il fait beau ce matin. Nuages, soleil, temps chaud. On annonce du froid. J’ai grossi. Téléphone de Jacques Roubaud, intrépide, charmant. Il travaille à L’Enlèvement d’Hortense, un divertissement ».
 
 
Ce Journal est un sismographe qui transcrit et fixe les oscillations du temps, les mouvements répétés, lents ou accélérés du corps de l’auteur – il marche, il s’émerveille, il écoute le piano de son fils, il relit ses manuscrits, parle de ses états, de ses tremblements et de ses humeurs – sourdes colères. CeJournal est aussi celui des éditeurs qu’il fréquente et qui parfois l’agacent, des écrivains qu’il croise, qu’il lit, qu’il admire ou étrille. Journal du style – sa grande passion –, de ses romans que l’on devine entre les lignes et les pages – Cette écoute intérieure – écrits en mouvement permanent – J’ai commencé Dans la clartépas encore le ton… Je trouve tout ça un peu guindé… Pas encore les mots –. L’aiguille d’acier trempé de ce sismographe littéraire trace à l’encre noire des courbes, des droites, des parallèles, entre ce qui se vit au jour la nuit et ce qui s’écrit sous le ciel et dans les rues de Paris. Tracé net et précis d’une vie d’écrivain – que la mort seule va définitivement interrompre – géographie soyeuse et finalement joyeuse de la France de l’écrivain.
 
« Temps moins froid. Il est 18 heures. Toujours par l’esprit dans la Vendée. Je la récite par cœur. Des noms de lieux formidables : Treize-ventsLoup-Pendu ou L’Assemblée des Deux Lays. Le Lay est une rivière ».
 
« Une affirmation d’un auteur à succès dans un journal m’a fait sursauter ; « Quand j’écris la première ligne d’un livre je sais déjà où je vais ». Pourquoi y aller alors ? ».
 
« Ma grande idée en ce moment : écrire du désuet, que mon livre futur prenne la patine du temps ».
 
Michel Chaillou est un écrivain de l’œil et de l’oreille, il entend, il voit, il lit, il écrit. C’est simple et extrêmement complexe comme un rayon de soleil, une phrase du Journal, une musique, un regard, l’appel d’un ami éditeur, une dédicace, un rêve, un roman, une saveur et mille savoirs.
 
Philippe Chauché
 
 
 





3 commentaires:

  1. " Vingt-cinq ans d’attachement à la langue française et au style, à ce travail quotidien sur cet écritoire, où les mots sont polis et assemblés,..."

    "écritoire" étant féminin, il convient d'écrire "cette", comme me le confirme un rapide coup d’œil aux dictionnaires.

    Amitiés.

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  2. Très juste cher Cédric. Je vais donc corriger. Ph

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  3. Pourquoi n'ai-je jamais rien lu de Michel Chaillou ? J'avais oublié l'écrivain à la tête de chouette, ce grand type en velours sombre qu'il m'est arrivé de croiser dans les rues de Nantes. Bien que de 30 ans son cadet, je pressens que le Nantes que j'ai connu alors que la population laborieuse n’avait pas encore entièrement quitté la ville pour sa banlieue, avait toujours la saveur de son Nantes. Après vous avoir lu ici, lire le journal de Michel Chaillou et la Croyance des voleurs est devenu une nécessité impérieuse.

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