« La tourmente.
Oui, certains disaient qu’Evelyne Ducat avait été emportée par la tourmente, comme autrefois. La tourmente, c’est le nom qu’on donne à ce vent d’hiver qui se déchaîne parfois sur les sommets. Un vent qui draine avec lui des bourrasques de neige violentes, qui façonne les congères derrière chaque bloc de roche, et qui, disait-on dans le temps, peut tuer plus sûrement qu’une mauvaise gangrène ».
Seules les bêtes est ce roman de la tourmente. Le roman du vent glacial qui saisit les hommes et les femmes du plateau, qui vient griffer ce territoire oublié, perdu, saisi par le givre. La tourmente des corps et des âmes est au cœur de ce roman polaire. Une femme disparaît dans la tourmente, seule reste sa voiture abandonnée, et cette étrange disparition va révéler ces vies, ces rêves, ces fantasmes qui sommeillent entre les fermes sombres et isolées, dans les ornières des chemins boueux, et dans les bergeries où se blottissent les brebis.
Les corps vont alors se livrer. Alice : Ils s’imaginent que si une histoire commence quelque part, c’est qu’elle a aussi une fin. Joseph : Il y a des jours où t’as pas envie de retourner à l’intérieur. Maribé : Si ce jour où on s’est rencontrées n’avait jamais existé, elle serait encore là. Michel : On ne disparaît pas comme ça. Pas un type comme moi. Et Armand. Seules les bêtes est leur roman, leur récit à la première personne, leurs folies, leurs envies, leurs mots qui se libèrent de la tourmente avant l’éclaircie, et la vérité, éclatante et terrifiante.
« Cette nuit-là, vers onze heures ou minuit je dormais toujours pas. Je me suis retourné dans le lit, j’ai sorti la tête de l’oreiller. Et je les ai entendus. Les bruits de l’armoire sous le plancher de la chambre, ils étaient là. Pas forts, assez discrets même, le bois craquait et crissait tout doucement ».
Seules les bêtes se nourrit des fantômes qui hantent les personnages, ces ombres qui frappent aux portes des armoires, qui se glissent entre les lignes virtuelles des écrans, ces fantômes qui descendent des forêts et de la montagne, ombres des amours perdus, des espoirs gâchés et des jeunesses dilapidées. Les corps tombent lorsqu’ils se livrent, l’amour se fait en passant, la terreur de la terre et ses rumeurs inondent les peaux, alors qu’une main anonyme tend ses pièges virtuels. Les bêtes seules semblent savoir ce qui se trame dans ces drames. Colin Niel a l’art de se glisser sous la peau frissonnante de ses personnages, dans leurs peurs et leurs folies, leurs envies et leurs rêves, de faire un roman âpre de leurs destins, et de débusquer leurs terreurs anciennes. Seules les bêtes est un roman noir de la terre, du silence des hommes et des bêtes, des frustrations, des douleurs et des joies éphémères.
« J’ai fait un sourire dans le vide avec cette idée que quelque chose de nouveau était en train de commencer pour moi. J’ai encore regardé mon ombre et j’ai balancé un caillou pour la provoquer, lui montrer que j’avais pas peur d’elle aujourd’hui ».
Philippe Chauché
http://www.lacauselitteraire.fr/seules-les-betes-colin-niel
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