« Au milieu de la forêt meusienne où disparaissait un écrivain français (le lieutenant Henri-Alban Fournier, dit Alain-Fournier) un autre naissait. Maurice Genevoix était sans superstition, mais il croyait à une sorte d’équilibre supérieur des choses du monde. La guerre y faisait un trou aveugle, puis l’univers se reformait, comme la surface de la mer ».
Nous lisons Pour Genevoix, et nous entendons Pour la langue et la mémoire, nous entendons également, Pour un certain style français, une manière d’être dans l’action, dans la terre et sur la terre, témoin de voix et de corps qui chutent. Il n’est pas surprenant que ce soit l’écrivain de Jeanne – Le Bon Cœur et Le Bon Sens – Michel Bernard qui s’y soit engagé. Engagé à défendre avec style, un écrivain un peu oublié, comme le sont parfois ces autres amis de la République : Henri Bosco, Marguerite Audoux, Anatole France – Il fallait lui dire Monsieur France, comme on aurait pu dire Monsieur Espagne en s’adressant à Cervantès – Sacha Guitry –, Louis Pergaud, Alain-Fournier, Colette, Louis Hémon, Henri Pourrat, Marcel Pagnol, André Dhôtel – Ils disaient le sentiment du monde.
Maurice Genevoix à sa table de travail - Getty / James Andanson |
Maurice Genevoix, au cœur de la guerre, dans une tranchée, saisit le sentiment de la guerre, des soldats blessés, mourants, des peurs et des doutes, des cris et des silences. Ceux de 14, ce sentiment de la guerre, devient par la force de son récit, sa richesse, sa précision, le roman de la guerre de ceux qui l’on faite, de ceux qui la retrouvent, la découvrent, cinq, dix, vingt, cent ans plus tard. Pour Genevoix est un livre qui porte haut les couleurs et les manières de l’écrivain des bords de Loire et des tranchées, l’écrivain de la Grande guerre, qui lui a donné à souffrir et à écrire. Ceux de 14 est le livre d’un homme chargé d’âmes, ses camarades des Éparges, le livre d’un écrivain plongé dans la tourmente, qui ressent, écoute, et voit, un livre porté par les voix des soldats, ses frères d’armes. Ils sont là, visibles, dans la clarté, dans la longue nuit de l’offensive armée, on entend leurs voix et leurs plaintes. Un livre unique, comme le sont, tous les livres de Maurice Genevoix, une voix qui résonnait dans un imaginaire collectif, qui se passait de mains en mains, un livre toujours ouvert, partagé et admiré, puis délaissé.
« Nous parlons peu. Mais toutes les paroles qu’on entend sont comme des parcelles de clarté. Une lumière grandit sur notre passé récent, éclairant tout, nous montrant tels que nous sommes, tels que nous avons été » (Ceux de 14, Les Éparges, Librio).
Maurice Genevoix possède une voix unique, nourrie de ces parcelles de clarté, marques de son style lumineux, brillant, précis, comme est unique celle des Mémoires de guerre, car il y a une parenté entre le Général et le sous-lieutenant, ce sont des guerriers qui ont du style, et une grande idée de la résistance à l’occupant, une grande idée de la France, des hommes qui la défendent, une belle vision de la littérature, et de la belle langue. Dans les livres de Maurice Genevoix, comme dans ceux d’Henri Bosco ou de Marcel Pagnol, on est saisi par ces voix, des voix d’écrivains, où l’on entend une langue, comme le murmure d’une source, le silence d’une maison abandonnée, ou les éclats d’un fleuve lorsqu’il grossit. Une voix que la terre inspire et aspire, une voix profondément romanesque, nourrie des limons de la Loire qu’il aime voir couler de son cabinet d’écrivain. Une voix que la guerre n’a pas terrassée, mais a révélée, une annonce faite à l’écrivain en devenir, une voix qui est celle des soldats qui tombent sous ses yeux, qui glissent entre ses mains généreuses. Pour Genevoix est un hommage à un écrivain racé et stylé, un manifeste littéraire où brille Ceux de 14, comme un phare, qui n’écrasera pas l’écrivain, car d’autres livres viendront, qui mériteront attentions et passions. Maurice Genevoix, devenu écrivain sous les feux Allemands, le restera sur les bords de Loire, dans les forêts de Sologne, et sous le regard protecteur de l’oiseau de Minerve, cette chouette des Éparges qui accompagnera toute sa vie Genevoix. Michel Bernard a le pouvoir de faire vivre Maurice Genevoix, de le ressusciter d’entre les écrivains, non de le couvrir de gloire, mais de couronnes de mots et de phrases qui lui ressemblent, comme l’écrivain faisait vivre ses soldats de 14.
Philippe Chauché
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