jeudi 10 juin 2021

Les Fables de La Fontaine dans La Cause Littéraire

« La Fontaine est un des poètes qui ont su mettre un maximum de corps dans la langue. Cela donne aux Fables, en particulier pour les enfants qui aiment dire en gonflant leurs joues La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Bœuf, une fraîcheur toujours recommencée. Les lecteurs savants y trouvent des occasions délicieuses pour s’émerveiller, sans jamais épuiser les raisons de leur plaisir. Les Fables peuvent être une “fontaine de jouvence” » (Yves Le Pestipon). 

« Je chante les héros dont Ésope est le père : 
Troupe de qui l’histoire, encor que mensongère, 
Contient des vérités qui servent de leçons. 
Tout parle en mon ouvrage, et même les poissons. 
Ce qu’ils disent s’adresse à tous tant que nous sommes. 
Je me sers d’animaux pour instruire les hommes » (Jean de La Fontaine, À Monseigneur le Dauphin). 

« Le Chat et le Renard, comme beaux petits saints, 
S’en allaient en pèlerinage. 
C’étaient deux vrais Tartufs, deux archipatelins, 
Deux francs Patte-pelus qui des frais du voyage, 
Croquant mainte volaille, escroquant maint fromage, 
S’indemnisaient à qui mieux mieux » (Le Chat et le Renard). 


Les Fables nous reviennent aujourd’hui dans une nouvelle édition, accompagnée de dessins et de gravures de Jean-Jacques Grandville, comme reviennent les beaux jours, et les grands souvenirs littéraires. Les Fables est un souvenir partagé par tous ceux qui, plus jeunes, ont découvert, lu, savouré et parfois appris sur le bout de la langue ces histoires à aucunes autres pareilles. Les Fables ont traversé les siècles, elles possèdent cette force et cette vivacité uniques sur lesquelles le temps n’a point de prise. Cette belle langue française que chérissait Jean de La Fontaine était aussi celle de Mme de Sévigné et de François de La Rochefoucauld, qui furent des lecteurs passionnés des Fables. Cette langue du XVII° siècle qui sonde la nôtre, et l’invite à plus de retenue dans les transformations que certains voudraient lui imposer. Cette langue vivante et musicale est au cœur des Fables, de La Cigale et la Fourmi – Je vous paierai, lui dit-elle, / Avant l’août, foi d’animal, / Intérêt et principal. – à La Ligue des Rats – Ils allaient tous comme à la fête, / L’esprit content, le cœur joyeux, / Cependant le Chat, plus fin qu’eux, / Tenait déjà la Souris par la tête. L’intégralité des Fables s’offre à nous, les douze livres ainsi que les Fables non recueillies. Et que nous dit sa langue si vivace ? Elle nous conte des histoires d’animaux, humains, trop humains probablement. 




« Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages : 
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs, 
Tout petit prince a des ambassadeurs ; 
Tout marquis veut avoir des pages » (La Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf). 

« La ruse la mieux ourdie Peut nuire à son inventeur ; 
Et souvent la perfidie Retourne sur son auteur » (La Grenouille et le Rat). 

Si cette édition des Fables de La Fontaine est un heureux évènement, c’est aussi qu’elle associe le texte intégral aux gravures et dessins de Grandville, une gravure par fable et de nombreux dessins, publiés entre 1837 et 1840 – D’abord esquisse de la pensée sur papier et, dans les premiers temps, plus généralement sur ardoise avec la craie, ce qui me permettait d’effacer, de redessiner constamment jusqu’à ce que j’eusse trouvé ma composition et le mouvement que je désirais pour mes personnages. La force de ces dessins et de ces gravures, c’est qu’ils n’illustrent pas les Fables, ils les accompagnent, ils en saisissent à traits fins et précis ce que nous pourrions appeler un arrêt sur le texte, une vision de la fable, un regard inspiré, et Grandville est grandement inspiré par La Fontaine et ses animaux aux postures humaines. Un exemple, Le Corbeau et le Renard : Maître Renard, apparaît souriant, bon enfant, dressé sur la souche d’un arbre sur ses pattes arrière, celles d’avant croisées, toutes moustaches dressées, il regarde Maître Corbeau non sans arrière-pensée, un vieil oiseau à binocles perché sur la branche d’un arbre, qui retient dans son bec un fromage, la scène se déroule dans une clairière, où cheminent un couple que l’on suppose amoureux. Autre exemple ce dessin saisissant et un peu effrayant du Renard et le Buste : Les Grands pour la plupart sont masques de théâtre, où l’on se demande s’il s’agit d’hommes masqués ou d’animaux qui portent bien l’habit. 

« Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus 
Qui du soir au matin sont pauvres devenus Pour vouloir trop tôt être riches ? » (La Poule aux œufs d’or). 

« Jamais auprès des fous ne te mets à portée. 
Je ne te puis donner un plus sage conseil. 
Il n’est enseignement pareil 
À celui-là de fuir une tête éventée » (Le Fou qui vend la Sagesse). 




Les Fables nous proposent, et chacun le sait, les ayant un jour lues, dégustées, retenues, comme l’on retient un souvenir d’enfance, un heureux apprentissage à la langue française, des portraits piquants d’animaux qui s’affairent aux malices et aux travers des humains qui s’y trouvent ainsi dessinés. Jean de La Fontaine sait ce qu’il ce qu’il doit aux Anciens, à Ésope et Phèdre notamment, fondateurs du genre, touché par l’enchantement et le désenchantement de ces fables anciennes, qu’il manie et remanie, attentif aux charlatans, aux vieux rois, aux renards malins, aux trompeurs qui se font piéger, aux lièvres songeurs – Un Lièvre en son gîte songeait (Car que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ?) –, aux grenouilles lassées de l’état démocratique, à tout un bestiaire, qui dévoile le ridicule de ses contemporains. Les Fables est enfin un formidable roman poétique du XVII° siècle, un livre où la langue virevolte, et s’envole. Elle célèbre l’art singulier du portrait saisi sur le vif de ces animaux et de ces hommes, qui se dévoilent sous son regard perçant, et de sa plume aiguisée comme une flèche d’acier, sans jamais se départir d’un goût prononcé pour la comédie, la vaste comédie humaine de son siècle, qui nous divertit, et nous amuse. 

Philippe Chauché


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