« Le portail s’ouvre sur une vaste cour en cailloux, des cailloux de taille identique, serrés les uns contre les autres, des cailloux qu’on ne pourrait arracher bien qu’au ciment ne les scellât, des cailloux lisses et luisants que l’Adour et les gaves ont charriés dans leurs eaux bourlingueuses. Ils donnent à la cour l’apparence du lit asséché d’une rivière » (Bonheur).
Bonheur fut d’abord un feuilleton de La Nouvelle République des Pyrénées, un feuilleton qui deviendra un roman, un roman qui n’est pas à l’eau de rose, mais à l’eau du Gave, un roman dont les mots roulent comme des galets. Bonheur est l’histoire de Julien Beausonge – un beau rêve, une belle chimère –, qui s’installe à Ossun dans les Hautes Pyrénées, le dernier repos de sa mère, à quelques roues de Tarbes. Ce n’est pas un retour aux sources, les sources elles jaillissent de la plume de Christian Laborde, mais une plongée dans le Sud : c’est-à-dire la douceur, les nuages qui freinent, les fantaisies du vent.
Un Sud, qui devient jour après jour sa boussole, un Sud où swingue le gascon, un Sud où l’on ne craint point de croiser, ici l’ombre d’un Cathare, là celle d’un troubadour, plus loin d’entendre la voix de sable et de pins de Manciet, ou encore celle des tambours de Lubat. L’apprentissage du pays se fait avec grâce et joie pour Julien Beausonge, pour le voir, il faut rouler sur son vélo, apprivoiser les collines et les côtes, le Plateau de Ger, comme il a apprivoisé sa maison, Le Petit Manoir. Il faut être présent à la langue et à ceux qui la font résonner comme un écho entre deux montagnes. Aux noms qui font encore frissonner les rues du village, aux histoires de familles, aux départs, aux fuites, aux envolées loin des Pyrénées. Il faut être présent à sa maison, à son Petit Manoir, ne pas froisser les histoires qui s’y sont jouées et qui s’y jouent, écouter le murmure des murs et des meubles, et leur silence. Leur âme irrigue Bonheur, comme elle irrigue les romans d’Henri Bosco, la transmission a eu lieu et elle est admirable. Tout pourrait ainsi durer des siècles, mais, car il y a un mais dans ce pétillant petit roman, un autre écho envahit les rues du village, maléfique, l’aménagement d’une porcherie industrielle et ses six mille porcs en batterie, alors la colère gronde comme l’orage dans les vallées pyrénéennes, et la foudre tombe !
« Il y a deux sortes de mots : les mots à plat, et les mots qui bougent. Nostalgie est un mot qui bouge, un mot plein de swing, de vie, de feu, avec cet “al” qui claque en son sein » (Nostalgie, Le Bazar de l’hôtel de vie).
« Jouer de l’accordéon, c’est avoir le don d’accorder. Accorder en français de jadis, veut dire fiancer. Yvette Horner, sur scène, sur disque, avec son talent, sa virtuosité, son énergie, sa fantaisie et ses biscotos a fiancé le musette et le classique, La Marche des mineurs et Jean-Sébastien Bach, la java et le jazz uzestois de Bernard Lubat, la tradition et la nouveauté, la France et le monde entier, la musique et les lacets du col du Tourmalet » (Mots dits pour Yvette à la cathédrale de Tarbes, le 20 juin 2018, Le Bazar de l’hôtel de vie).
Bonheur est un conte, une lettre de mon village envoyée à la terre entière, lumineuse, brillante, révoltée, frizzante, comme on le dit d’une eau pétillante au pays de Dino Risi, un conte qui se termine dans le bonheur, pour les cochons et Julien Beausonge, un bonheur en entraîne d’autres.
Le Bazar de l’hôtel de vie ressemble à ces bazars de notre enfance, ces commerces où l’on pouvait tout acheter : des bonbons, des pinces à linge pour faire du vélo, des vis et des écrous, du fil et des mouches pour la pêche, des élastiques, des étiquettes, des pièges à souris. Celui de Christian Laborde recèle des tchatcheries – l’ancêtre du Slam –, des poésies qui se chantent et se « gueulent » à Biarritz, à Aureilhan ou à Avignon, des compositions improvisées sur de petits carnets qui ne quittent jamais l’écrivain. Mais aussi des hommages, à Colette Besson – Besson, du latin populaire bissus, veut dire jumeau. Le 16 octobre 1968, sur la piste de Mexico, Colette Besson fut ce qu’elle demeure pour chacun de nous : la petite sœur jumelle du vent – et à l’éternelle Yvette Horner – Que faites-vous dans la vie, Yvette Horner ? Je fais atterrir la joie – ou encore Les carnets d’Avignon, pour raconter sur scène Claude Nougaro, c’était en 2016.
On a beau lire Christian Laborde depuis des décennies, depuis plus de trente ans, savoir qu’il a au moins trois passions : la langue, les langues françaises et gasconnes, celle qui s’écrit et celle qui s’entend, s’écoute, celle qui swingue, qui sifflote, qui chante à tue-tête, la bicyclette, celle que l’on enfourche pour vagabonder et celle qu’enfourchent les héros du Tour de France (1), du Giro et de la Vuelta, celle qui rôde entre les buissons, à l’écoute des chouettes, des rossignols et des merles, la chanson, ou plutôt les chansons de Claude Nougaro dont la langue roule comme le Gave, et l’accordéon d’Yvette Horner qui s’accorde aux échappées belles du Tour. On a beau savoir tout cela, à chaque nouveau livre on est éveillé par surprise, et de surprise, éveillé de force, d’un savoureux savoir, de musiques, car ses livres s’écoutent plus qu’ils ne se lisent et quand ils se lisent, c’est à haute voix, comme s’il nous disait : « écoutez, dans ma besace, j’ai des romans, des mots qui filent d’oreilles en oreilles comme un ballon de rugby de mains en mains, et des histoires à dormir à la belle étoile à vous offrir, un vrai bazar ! Régalez-vous ! ».
Philippe Chauché
(1) Les Editions du Rocher ont eu la bonne idée de rééditer dans sa Collection de Poche Le Tour de France de Christian Laborde, une somme passionnante (juin 2021, 496 pages, 8,90 €)
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