« Louons la constance du mur qui depuis près d’un siècle ne cesse de faire le tour de la maison ».
« Les poêles d’autrefois étaient plus attachantes en prévision de notre nostalgie ».
Biotope et anatomie de l’homme domestique
« Détente : La lecture doit rester une détente. Appuyez dessus ».
« Jaquette : Est à l’édition ce que le casque est à l’écurie. Doit se reconnaître de loin avant le dernier virage de Vincennes ».
D’un dictionnaire à un recueil d’aphorismes, il n’y a qu’un pas littéraire que
franchit, dans un bel éclat de rire, Philippe Annocque. L’écrivain en amateur de vérités succulentes, de paradoxes croustillants, d’aphorismes mordants, d’humeurs littéraires, de chutes surprenantes et de contre-pieds osés, réussit ce double pari, espacé de quelques mois, faire rire le lecteur, qui comme l’auteur peut être sérieux, sans une seconde se prendre au sérieux, et le séduire par ses humeurs, et ses jeux de mots et de phrases.
Ces deux petits livres collectionnent les loufoqueries, les piques, les soufflets, et les comparaisons les plus hasardeuses. Mais quel est donc cet homme et son biotope que l’écrivain passe au tamis de son maigre ouvrage, qui ne compte que soixante-deux pages ? Ici même, lors de sa sortie officielle, Fabrice del Dingo, grand dégustateur de pastiches, s’amusait et nous réjouissait de sa lecture pétillante du petit Direlicon (1). Les Editions Louise Bottu qui affectionnent les écrivains bondissants et rugissants, les escaladeurs des lettres, les plongeurs en apnée tirés à quatre lettres, les farfelus et les farfadets romanciers, et auxquels il se plaisent à imposer parfois quelques contraintes qui n’auraient pas déplu à Raymond Queneau et à Georges Perec, laissent Philippe Annocque libre de ses phrases qui dégringolent en cascade de son Biotope. Vous poussez la porte du biotope domestique de l’écrivain et sans surprise, vous tombez sur le vestibule et son portemanteau baladeur, puis place à la cuisine intégrée, et l’auteur se demande, et nous demande : Que sera-t-elle demain ? Assimilée ? Digérée peut-être ? On se plaît à imaginer Jacques Tati en grand dynamiteur de cette cuisine qui se prend pour un vaisseau spatial. Ici, pas de contraintes imposées, mais un livre d’humeurs humoristiques, de croquignoles remarques – Jacuzzi n’est pas l’amant de ta femme. Ou peut-être que si –, d’aphorismes vifs et renversants, jouant sur l’absurde légèreté de l’être. Philippe Annocque aurait pu dédier ce petit recueil d’aphorismes à Groucho Marx et à ses frangins.
« Javel je ne boirai pas de ton eau ».
« Ne croyez pas me faire taire en appuyant sur l’interrupteur ».
« aucune idée du crime dont on m’accuse pour lequel j’ai été condamné et moi tourmenté antipode de raskolnikov pour retrouver la paix farouchement je traque un délit une cause à ma peine milan kundera dira que le châtiment court après la faute »
J’aurai été Joseph K.
Comme la vie est un rêve, la vida es sueño, Marc-Émile Thinez rêve tout haut de littérature, de peinture et de cinéma, au réveil, il s’y plonge, et nous y plonge, mais en quelques lignes, huit, et pas une de plus. Comme s’il s’agissait de résumer un rêve éveillé. En un tour de magie, il devient Bernardo Soares, le scribe de Fernando Pessoa, Pif le chien, et glop, glop, Hamm dans Fin de partie de Samuel Beckett – il y a un rat dans la cuisine –, ou encore Humbert de Lolita de Vladimir Nabokov. Le jeu imposé ou auto-imposé consiste à faire entendre le roman ou le film, lu et vu, d’en presser quelques phrases, d’y ajouter quelques mots de son cru ou quelques tournures bienvenues, de les laisser reposer au fond ou sur les marges de la page supposée blanche, après avoir laissé les virgules et les points remonter à la surface. Puis, regarder si tout cela a du sens, si l’on entend la petite musique si particulière à l’œuvre, sa petite cuisine, tout un art de la réduction littéraire et culinaire. L’écrivain devient ce qu’il écrit, il devient les livres qui brouillent son regard et vampirisent sa bibliothèque, heureux vampirisme dont se joue l’auteur par des pétillantes bizarreries et trouvailles. Là une chansonnette tourne en rond dans notre mémoire pour évoquer Emma Bovary – mal en campagne et mal en ville peut-être un petit peu trop fragile… –, ici, il s’accroche, comme Echenoz, aux basques de Zatopek – je gratte tout le monde avec mon style impur et je suis le type qui fait tout ce qu’il ne faut pas faire et qui gagne –, et mille autres surprises, pour tout cela, l’auteur déborde de souffle, il court beaucoup, et d’imagination, le sel, le poivre et le piment littéraire n’ont aucun secret pour lui, tout comme il débordait d’imagination, avec ses 140 tweets au carré (2).
Philippe Chauché
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