dimanche 6 juin 2010

L'Art Admirable


Emmanuele Conegliano dit Lorenzo Da Ponte 1749-1838

Io, Don Giovanni (1), c'est d'évidence, pense-t-il, Io, Da Ponte, Io, Mozart, Io, Casanova, tellement ces trois scissionnistes sont indissociables, c'est tout l'Art Admirable du 18° siècle de permettre que de tels artistes se croisent, s'écoutent, se lisent, se parlent, et s'accordent dans la jubilation de l'Opéra absolu, cette étoile éblouissante et fougueuse qu'est Don Giovanni.

Jusqu'à ce jour, note-t-il, le cinéma n'avait jamais été à la hauteur de cette aventure européenne, musicale et littéraire unique. Clichés accumulés et moralisateurs, domination de la mort, peur de la lumière, de la joie, de la vie, des corps chantant et jouissant - c'est parfois la même chose -, surdité, mauvais oeil, sorcellerie, que sais-je, ajoute-t-il.

Carlos Saura n'est pas seulement cinéaste, il est musicien et lecteur attentif de Casanova, cela se voit, cela s'entend, cela ébloui, il a compris ce qui se jouait là : renverser le Diable et ses collaborateurs, rendre les corps musicaux, amoureux et ainsi dignes d'admiration, pas étonnant que Venise, Dante et Béatrice illuminent le film.



Giovanni Giacomo Casanova de Seingalt 1725-1798

Il écoute, l'interprétation de Georg Solti (2), qu'elle élégance, pense-t-il, alors qu'ici le débrayé des corps et des pensées envahit le moindre espace de la ville aux vierges perchées, ils n'ont décidément peur de rien ces humanoïdes négligés, pas étonnant qu'ils n'entendent ni Mozart, ni Da Ponte, ni Casanova. Pas étonnant pense-t-il qu'ils ne voient rien, ne sentent rien, et savent si peu aimer, si peu chanter, si peu écrire et finalement si peu faire jouir.

" Ma nièce, se montrant de très bonne humeur, me traita comme si je n'avais dû être nullement sensible à la préférence qu'elle avait donné à son lit sur le mien. Cela me plut. De sang rassis, je voyais qu'elle se serait avilie si elle fait autrement. Je ne me trouvais pas même-piqué. L'amour-propre ordonne à une femme d'esprit de ne se rendre aux désirs d'un amant que lorsqu'il peut la supposer gagnée de ses attentions. " (3)



Wolfang Amadeus Mozart 1756-1791

Io, Don Giovanni, c'est aussi, rappellez-vous ce tableau, écrit-il, Io, Picasso. J'existe, et c'est ainsi, vous ne pouvez y échapper, vous devez faire avec, avec l'éblouissement de mon l'art, sa nécessité, sa gloire et sa grâce. Point d'humilité, laissons cela aux dévots, mais la réalité qui éclate comme une gorge dénudée, et sur l'Instant vous sauve.



Io, Don Giovanni, joie, silence, phrases, partitions, doutes, éclats de rire, corps qui s'envolent, enlacement musical, une manière de gifler la laideur dominante, une autre manière de dire je vous aime et vous désire.

" Je m'asseyais devant ma table de travail vers l'heure de minuit : une bouteille d'excellent vin Tokay à ma droite, mon écritoire devant moi, une tabatière pleine de tabac de Séville à ma gauche. En ce temps-là, une jeune et belle personne de seize ans, que je n'aurais voulu aimer que comme un père, habitait avec sa mère dans ma maison ; elle entrait dans ma chambre pour les petits services de l'intérieur, chaque fois que je sonnais pour demander quelque chose, j'abusais un peu de la sonnette, surtout quand je sentais ma verve tarir ou se refroidir. Cette charmante personne m'apportait alors, tantôt un biscuit, tantôt une tasse de café, tantôt seulement son beau visage toujours gai, toujours souriant, fait exprès pour rasséréner l'esprit fatigué et pour ranimer l'inspiration poétique. Je m'assujettis ainsi à travailler douze heures de suite... "
Vive les femmes, vive le bon vin, soutien et gloire de l'humanité. " (4)

Io, Don Giovanni, la vie comme un soleil de phrases, de notes et de corps, peu importe finalement les complots, les trahisons, les mensonges et les crimes, les belles âmes seront plus que jamais musicales.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Carlos Saura / scénario Carlos Saura, Raffaelo Uboldi et Alessandro Vallini / avec notamment Lorenzo Baducci, Lino Guanciale, Emilia Verginelli, Tobias Moretti
(2) Don Givanni / Mozart / London Philarmonic Orchestra / Sir Georg Solti / 1978 / Decca
(3) Histoire de ma vie / Casanova / Bouquins / texte intégral du manuscrit original / Robert Laffont
(4) Dictionnaire amoureux de Venise / Philippe Sollers / Plon

1 commentaire:

Laissez un commentaire