jeudi 23 septembre 2010
Le Philosophe des Vagues
Il note qu'il a mis un certain temps avant de se lancer dans la vivifiante lecture de cet essai romanesque - il pense qu'un essai qui ne se laisse pas entraîner par le romanesque, comme par le regard d'une femme, le laisse de marbre, comme souvent d'ailleurs les indifférences et les insultes qu'il ne manque pas de collectionner - voulant simplement le lire d'une traite comme souvent il écoute d'une traite un disque de Miles Davis, les premiers accords éclairant les derniers, et les derniers anéantissant les éphémères premiers, il pense aussi que cet essai là, méritait comme on le devine du regard d'une femme d'être tenu le temps d'une nuit blanche ou d'une journée noire.
Le voici donc lu, et même relu, alors que le ciel de sa tour se charge de nuages gris, que les passantes négligées et les passants bruyants vont quitter sa rue pour se ruer devant l'écran vide de leurs habitudes asexuées, et qu'il va pouvoir goûter à quelques délices fleurant bon la tourbe.
Philosophie sentimentale, donc, est le nom de ce petit livre, coupant comme une épée de Tollède, brillant et lumineux comme une faena de José Tomas, nécessaire comme un baiser ou une musique légère, sec comme il imagine que fut le jésuite admirable, qu'un temps l'auteur réédita, et que les craintifs fuient comme la peste.
L'auteur, qui est un philosophe des vagues, autrement dit un penseur amusé et léger -sans quoi, c'est le plongeon ! - aime ici à prendre quelques vagues toutes aussi cassantes que celles qui parfois l'hiver déchirent les falaises de la Côte. Surfer sur Schopenhauer, Montaigne, Pessoa, Ortega y Gasset ou l'Ecclésiaste, n'est peut-être pas de tout repos, mais reste mille fois plus existant et héroïque que de barboter dans la dernière livraison du Monde Diplomatique, ou de l'ultime bavardage de bac à sable du sieur Omphray et de ses admirateurs alter mondialistes et mal habillés.
Pour suivre l'auteur, s'il permet, il ajoute, l'habit fait le penseur libre, et le négligé l'esclave.
Pessoa, Ortega y Grasset, Schopenhauer, Montaigne, l'Ecclésiaste, Chamfort, Nietzche, Proust, Freud, Rosset pour ici citer toutes ces vagues, parfois détournées pour briser ce qu'elles offraient d'éclatant, souvent oubliées, décriées, détournées, aplaties par des penseurs à la petite semaine qui ont leur rond de serviette dans les gazettes ou dans les coulisses du petit écran.
Comme tout bon surfeur, l'auteur, sait l'instant où il doit s'élancer pour descendre et faire sienne cette vague de pensée, dans la mousse il note et fait siennes ces milles goûtes assemblées qui font trembler les frileux baigneurs.
Lisons :
" Au contraire du malheur, le bonheur ne laisse pas de traces mais des souvenirs qui viennent nous seriner la complainte des regrets. " (1)
" Je n'ai jamais eu d'amour, mais simplement du goût, pour la philosophie. " (1)
"... si bien que, dans une société où les néo-esclaves cherchent à s'amuser coûte que coûte et en permanence, la barbarie l'emporte sur la civilisation, ou, si l'on préfère, la vulgarité sur le goût. " (1)
" Les néo-esclaves ne sont ni lecteurs, ni mélomanes, ni esthètes, non parce que, comme le prétend la philosophie candide, leurs patrons, qui partagent leur goûts, leur confisqueraient l'accès à la culture, mais parce que les prduits de divertissement reflètent fidèlement leur humanité. " (1)
" Mon Biarritz n'est pas la Lisbonne de Pessoa, mais de ce lieu de villégiature estivale bordé au nord par le palais de la princesse Eugénie et, au sud, par le château du capitaine Nemo, alias le baron Albert de L'Espée, j'ai fait ma capitale, et, aussi le labyrinthe balisé de mes flâneries. " (1)
" Selon Amiel, tout paysage est un état d'âme. Inversement, tout état d'âme donne à voir un paysage. " (1)
" La seule sérénité à laquelle il goûtait par intermittence lui venait du marasme de ses organes. " (1)
" Ce n'était donc pas la philosophie qui lui apprenait à mourir, mais l'approche de la mort qui lui apprenait à philosopher. " (1)
" Tout l'art du gentilhomme est de faire glisser une demoiselle ayant le sens de la conversation vers la conversation des sens. " (1)
" Seul un nouvel amour nous distraira d'une peine de coeur, seule la colère nous soulagera de la haine, seule la naissance d'un fils adoucira en nous le deuil d'un père, seule une joie interrompra notre chagrin. " (1)
Et tout est ainsi, des vagues de pensées qui ne sont jamais des pensées vagues, mais déchirées et déchirantes, avec par endroit, comme on le voit parfois lorsque l'on est d'une grande attention, un rayon vert qui surgit et vous sidère.
Il se dit, qu'il pourrait dédier ce texte à celle qui depuis longtemps ne le lit plus.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Frédéric Schiffter / Philosophie sentimentale / Flammarion
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Cher Philippe,
RépondreSupprimerJe vous recommande cette adresse :
http://moleskine-rouge.blogspot.com/
Mon amitié,
Frédéric