mardi 7 septembre 2010

Romans



C'est du Japon, note-t-il, que nous vient ce roman français, comme si une certaine forme d'exil volontaire lui donnait ces accords rares et lumineux, l'éloignement garant du rapprochement en quelque sorte.

Il se dit aussi, c'est là un roman politique, au sens qu'en donnait Céline lorsqu'il écrivait d'Un Chateau l'Autre, une autre histoire de fantômes, qui continue à faire trembler les émules de Bourdieu, Debray et Onfray, autrement dit, les tenants du désordre établi, qui n'est pas autre chose que le nouvel ordre dominant, politique car il se saisit de la question de l'identité française, cette tarte à la crème indigeste qui a tant agité les têtes môles et leurs contempteurs ces derniers temps.

Invitez les fantômes, et vous serez surpris, écoutez ce qu'ils ont à dire de notre temps défait et moisi et vous sortirez du piège permanent que l'on vous tend, laissez-les jouer leur petite musique joyeuse et le brouhaha dominant s'effacera.
Trois courts portraits de fantômes qui ne tombent pas de nulle part font vibrer ce roman exceptionnel, trois fantômes rejetés, bannis, diffamés, oubliés, ridiculisés par d'autres têtes môles. Trois histoires, celle d'Antoine Vollard, le marchand d'art, Jeanne Duval, la " Belle d'abandon ", et Edmond Albius, le marieur de fleurs, trois portraits de français de tous les Temps, et comme le disait un vauclusien embastillé, Français encore un effort... !

Trois fantômes, trois romans esquissés, trois aventures du Temps saisies sur le motif par un écrivain-peintre-musicien, son nom Michaël Ferrier, retenez bien ce nom.

Lisons :

" Alors, oui, là ça va, ça s'écrit comme ça doit s'écrire, sans remords ni repentir, la fusée de la phrase. Il ne faut pas avoir peur d'y entrer, dans cette immense épaisseur de temps, cette énorme archive. " (1)

" Leur problème, un certain embarras par rapport au temps, leur grande naïveté, croire que le temps passe, ils ne savent plus décrypter les messages des morts. " (1)

" Yuko, peau blanche, cheveux noirs. L'arme suprême des Japonaises, une sorte de rasoir à deux lames, de fusil à deux temps. Peau très blanche, cheveux très noirs : la blancheur de la peau vous saisit, l'ondulé de la chevelure vous enlace et son sourire vous tranche la gorge d'un fil soyeux. " (1)

" Les artistes qu'il défend ne sont pas seulement des gens qui ne sont pas reconnus ou qui se heurtent à l'incompréhension du public. Ce sont aussi des voyageurs, des gens qui viennent d'ailleurs ou qui partent très loin : le Tahitien Gauguin, le Barcelonais Picasso, Van Gogh le Hollandais volant... ou Cézanne lui-même, cet étrange japonais reclus en sa Provence. L'âge importe peu, seul le talent compte : Cézanne a cinquante-six ans, Picasso vingt ans lorsqu'il les expose. " (1)

" C'est une mémoire interdite, ou du moins qui ne transparaît jamais. Mémoire opaque qu'on ne peut évoquer sans susciter le soupçon de ces dieux que sont dans la France d'aujourd'hui le journaliste aux ordres, l'historien oublieux, le politicien cauteleux, le sociologue doucereux... le présentateur de télévision précautionneux... le philosophe sérieux... C'est la dormeuse Duval, celle dont ne parle jamais ou presque, noyée dans le sommeil de France, perdue dans la nuit du temps. Mémoire dormante, parole de nuit, eau profonde. " (1)

" Et voici qu'au centre de sa plantation, Bellier Beaumont découvre cette gousse magnifique. Plus étonnant encore, Edmond lui explique alors que c'est lui qui a fécondé la fleur... Comment ! le mystère de la vie révélé par un enfant, par un petit Noir - ceux que les journaux colonialistes de l'île traitent alors de " petits fainéants - "... Et un esclave ! Le maître refuse de le croire, évidemment. Depuis le temps que les botanistes du muséum d'histoire naturelle de Paris cherchent... "
(1)

Trois fantômes bien plus vivants que les humanoïdes qui croient aujourd'hui peupler la France. Un marchand d'art avisé et sommnolent, une femme traversée par la poésie de Baudelaire, un jeune eclave noir aux doigts de fée qui découvre la fécondation artificielle de la vanille. Peinture, poésie, fleurs, tout un roman, et quel roman !

Quant au style :

" Des gémissements s'élèvent des tombes souterraines... Et le coeur de Yuko palpite de la vie à la mort, de la mort à la vie. Ses yeux sont deux antres où scintille le mystère, et son regard illumine comme l'éclair : soudain, c'est la vie, une explosion dans les ténèbres. "

Littérature, peinture, poésie, fleurs, tout un roman !

Pour énerver encore un peu plus les grincheux, précisons que l'éditeur de ce livre à lui aussi un nom et un prénom : Philippe Sollers, autrement-dit pour beaucoup, le diable en personne.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Michaël Ferrier / Sympathie pour le fantôme / L'Infini / Gallimard / 2010

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