samedi 18 août 2012

Mouvement de Délectation




" Je ne cherche pas une femme jeune et perdue. Je ne cherche pas une orpheline sortant de la guerre. Je ne cherche pas une Allemande à la voix merveilleuse. Je ne cherche pas un jadis introuvable. Je ne cherche même pas cette espèce de chose sans silhouette que le langage divise, que le nez ne sent pas encore, que la main ne saurait. Écrire cherche un état que la langue ordinaire ou orale ou nationale ne reconnaît pas. Je cherche quelque chose dont la non-reconnaissance est peut-être le signe. " (1)

Écrire ne sert à rien, sauf à chercher, chercher à nouveau l'invisibilité de la phrase, sa manière de se fondre dans le mouvement silencieux et très lent des lèvres qui vont la lire, écrire pour des lèvres qui savent lire est un exercice des plus goûteux ; alors ce n'est pas l'écrivain, dans ce mouvement de délectation, qui existe, mais la phrase seule, plus tard viendra l'auteur, lorsque la nuit se fera tapageuse, et que toutes ses phrases lues seront abandonnées à leur sort de phrases oubliées.
Écrire devient nécessaire dans le mouvement des lèvres, la main est d'une semblable agilité, les phrases épanchent les soifs les plus intimes, rien n'est finalement plus charnel que la phrase, elle mets les mots à la bouche, et une phrase qui s'ourle dans le velouté des lèvres est une phrase invisible qui prend corps dans un corps inconnu, et qui par le miracle de la lecture silencieuse pourra alors être entendue par l'écrivain qui a l'oreille fine comme les lèvres qui l'ont révélé.
 
à suivre
 
Philippe Chauché
 
(1) Les Paradisiaques / Pascal Quignard / Grasset / 2005

1 commentaire:


  1. Un commentaire qui ne sert à rien mais dont la non-existence ne servirait à rien non plus :

    En écho à votre "Écrire ne sert à rien,...", la 2423ème phrase/non-phrase de mon blog : "Écrire ne sert à rien mais ne pas écrire ne sert à rien non plus."

    Amitiés.

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