Tout écrivain est un jour ou l’autre géographe de
son propre corps – s’il a lu Montaigne – mais aussi de sa ville, qu’elle soit
réelle ou imaginaire. Les écrivains de romans noirs, qui ont le réel chevillé à
la plume, ont depuis toujours attaché grande attention aux rues et aux places
qu’ils parcourent chaque jour. Qui peut oublier le Paris de Léo Malet et de son
détective Nestor Burma, qui arpente les arrondissements de la capitale, du Soleil
naît derrière le Louvre, en passant par Micmac moche au Boul’ Mich’,
ou encore Brouillard au pont de Tolbiac et Corrida aux Champs-Élysées pour sa série des Nouveaux Mystères de Paris.
La ville ne dort jamais sous la plume de l’écrivain, et si elle s’assoupit, on
a toutes les chances de penser que de bien vilaines choses s’y trament.
A leur manière, les Editions Asphalte se sont
lancé le même pari, tracer à l’encre noire le roman multiple de la géographie
urbaine et sociale des cités contemporaines, de Barcelone à Londres, de Mexico
à Washington, de Los Angeles à Dehli, et aujourd’hui de Marseille à Marseille.
De l’Estaque au Stade Vélodrome, de La Belle de Mai au Panier, de La Joliette à
Belsunce. Le décor, qui n’est jamais d’opérette, abrite et révèle mille
fâcheux, farceurs et héros plus ou moins glorieux. L’aventure est toujours au
coin d’une rue que balaye le mistral ou une arme automatique, question de
climat ou de malchance.
« Le problème des secours, ça a été de
choisir par qui commencer : le minot fumé à coups de 357 au pied de ses
poubelles ou le charnier du rond-point de la Cayolle. Ils ont commencé par le
carambolage, un problème plus complexe et moins fréquent qu’un règlement de
comptes entre dealers. Parce qu’à Marseille, le vrai problème, c’est qu’il est
plus facile d’aller exécuter un contrat que de circuler en bagnole »
(« Le problème du rond-point », Philippe Carrese).
Tout écrivain marseillais de raison, d’adoption
ou de sang, a sous la main une palette de mots et de maux qui n’attend qu’une
phrase nette, claire et sèche pour éclairer ses intrigues. Une géographie de
langues, de lieux plus ou moins communs, d’éclats de rire et de frayeurs, qu’il
faut ramasser, concentrer, en évitant d’y ajouter trop d’eau, au risque de les
noyer, comme le conseille tout garçon de café qui vient vous servir un verre
d’une boisson jaune alcoolisée et de réputation mondiale.
« On sortait tous armés, c’était
l’époque qui voulait ça. Les minots d’aujourd’hui ils font les durs mais ils
font que faire, ils font les durs pour être durs, comme le placo chez Boulanger.
Les années 1980 là ça craignait vraiment. Maintenant ils me font rire avec
leurs trois cadavres par mois. Recompte un peu fils à l’époque le massacre que
c’était, à Belsunce tu mettais ni les pieds ni les mains, et ta fille pour
éviter le centre elle faisait tout le tour par Cassis et avant dix-huit
heures » (« Katrina », François Beaune).
A leur manière les écrivains de cette anthologie
marseillaise noire se livrent à des exercices de style souvent éblouissants,
troublants, touchants, burlesques, où l’on croise de jeunes truands énervés,
des immigrés à la dérive, un supporter de l’OM à la larme légère, un policier
comorien vertueux, des dealers, des braqueurs, des amuseurs publics. Jeux de
mots, et souvent jeux de malins qui finissent mal. Malice de l’écriture et
plaisir du lecteur.
« Maintenant, saute, ou je t’explose la
tête ! C’est ta dernière chance.
Il s’est recroquevillé. Il n’était plus
qu’une boule noire sur le chemin clair. Un petit tas d’horreur. J’ai tourné le
fusil vers le canal et j’ai appuyé sur la détente. La détonation a pulvérisé la
nuit. Elle a cogné contre les collines, roulé dans les vallons, est allée
frapper contre les rochers de la barre de l’Etoile ».
Marseille Noir, refermé, et en attendant
de l’ouvrir à nouveau, on se souvient du styliste du roman marseillais,
Jean-Claude Izzo qui n’est pas pour rien dans ce qui s’écrit aujourd’hui entre
Le Vieux Port, Le Panier et Longchamp. Marseille ne se couche jamais, et ses
nuits comme celles de ses écrivains ont mille rêves à nous raconter, des plus
terribles aux plus délicieux.
« On marcha le long du quai… En silence.
Serrés l’un contre l’autre. Je me demandai un instant où était ce fumier. Car
il ne devait pas être loin, Narni. A nous épier. A se demander quand, enfin, il
pourrait me planter une balle dans la tête. Il devait en rêver. Moi
aussi » (Jean-Claude Izzo, « Chourmo », Série Noire,
Gallimard).
Philippe Chauché
http://www.lacauselitteraire.fr/marseille-noir-nouvelles-noires-presentees-par-cedric-fabre
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