« Il porte l’uniforme, aussi. Bleu. De ce bleu qui tire sur l’espoir. Tant de manières pour parler de lui se télescopent, se contredisent, lui c’est un souvenir. Autant dire un leurre ».
Dans le passage un pope est un leurre, un appât, et le lecteur, telle une palombe, s’y laisse prendre, y perdant quelques plumes – ses certitudes littéraires –, et parfois plus. Tout roman qui se joue et s’amuse du roman procède ainsi, d’une invitation joyeusement trompeuse c’est, à bien y regarder, ce que fait ce pope dans son passage. Il traverse la ville enneigée, pour s’engager dans le passage, ce confessionnal, cette galerie où se glissent des moscovites plus ou moins égarés, perdus, cassés, énervés et rieurs, des clébards en veux-tu en voilà, des bidasses, un unijambiste et une femme à l’imperméable. Un théâtre de l’absurde se dévoile, et on ne peut douter que Petrov ait lu Beckett, Boulgakov et Pérec, et si l’écrivain des joyeuses contraintes nous a dévoilé Paris, et une langue gourmande, Petrov éclaire Moscou et ses vagabonds avec tout autant de plaisir, il donne, si l’on peut dire, sa langue au pope.
« Mendier dans les passages, tous les passages. Pour un nouveau départ ou continuer, sans plus. Pour un tiers ou pour sa paroisse.
Un passage un pope. Un pope et une bigote ».
Dans le passage un pope est un roman souterrain, où l’œil furète, un photomaton littéraire ouvert en permanence, où pour quelques roubles, l’auteur roublard, saisit en deux traits et trois couleurs les moscovites qui passent par là, ivrognes, voyageurs en transit, clochards à la dérive, tsiganes en longues jupes colorées, et vendeurs à la sauvette proposant un Staline bronzé écorché, fragile sous le vernis, ou encore un portrait encadré de Mikhaïl Boulgakov. Il s’en amuse, comme il s’amuse de ce pope pétillant, malicieux, silencieux, barbu, et hautain, à l’oreille tendue, sans perdre de vue ce qui se joue aussi sous ses yeux, des hommes qui tombent, des clochards que l’on enjambe, et qui finissent parfois aux urgences ou à la morgue, des tas d’immondices en feu et des mains glacées. C’est un nouvel Avenir radieux*, où les enfants de Staline se découvrent magnats du pétrole, trafiquants d’armes ou de parkas dérobées en Tchétchénie, proxénètes, vigiles alcooliques, amateurs de fourrures ou popes errants, mais de très loin, comme un paysage qui se dessine dans le brouillard de la Moskova, car il ne se passe pas grand-chose dans ce passage, ni d’ailleurs dans le roman qui s’en inspire, c’est ce que l’auteur affirme, mais personne n’est obligé de le croire.
« Comme les cheveux la barbe est longue et elle grisonne, la moustache vire au roux sur les lèvres, quand il murmure pour la vieille femme à peine si son visage frémit, il salue, remercie d’un signe, coiffe en avant juste ce qu’il faut, le temps qu’il faut, ferme et doux, sobre et à sa manière élégant, dans le passage il ne fait rien qu’y être mais quel style ».
Lev Nicolaïevitch Petrov-Blanc, dit Petrov, est une curiosité, auteur, selon son éditeur, d’un documentaire métaphysique, d’un livre sur rien, où toutefois quelques prolétaires vont de leur jet d’eau puissant faire table rase de ce qui s’entassait dans le passage, comme une révolution passée et mise sous pression. Petrov, que l’on devine amateur de papillons, aime à glisser dans son roman quelques phrases empruntées à d’autres, d’Anouilh à Céline, de Pessoa à Dostoïevski, il fréquente les Dictionnaires et semble très habile dans l’invention de canulars – canule canular qu’annule l’art –, son court passage s’inspire des matriochkas, chaque histoire, comme les poupées peintes, en dissimule une nouvelle et ainsi de suite jusqu’à la dernière, la plus petite, et c’est un écrivain agile qui les manipule.
* Alexandre Zinoviev
Philippe Chauché
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Laissez un commentaire