dimanche 3 avril 2016

Sollers dans La Cause Littéraire

« Formé, tissé, façonné, brodé, inscrit, tracé, coup d’archet dans les profondeurs, étoffe, squelette, musique. Ce Dieu me convient, il voulait que je naisse. Je veux bien l’appeler Iahvé, mais il ne me commande rien, il me protège, il me sauve, c’est un roc, un rocher, un rempart, il détruit mes ennemis au dernier moment, il me tire du bourbier et de la fosse commune, il me ressuscite, il m’aime ».
 
Quel est ce mouvement toujours surprenant qui anime les grands romans ? Quelle est cette source, ces sources qui les nourrissent ? D’où viennent ces livres de grâce qui étonnent par leur foisonnement, leurs éclats, leurs parfums ? Tant de questions que l’on se pose parfois en lisant ces romans qui tranchent avec ce qui s’écrit ici et là, ces livres qui traversent le siècle, nourris de tous les siècles passés. Point de nostalgie dans Mouvement, mais une fidélité au passé mis au présent, au présent plus-que-parfait, au mouvement du futur-antérieur. Pas étonnant alors que l’écrivain bordelais ait un œil en Dordogne, l’autre en Chine, une oreille chez Rimbaud, l’autre chez Hegel, la troisième chez Bataille, une autre dans la Bible (on ne compte plus les oreilles dont est doté l’écrivain). Comme il sait lire, écouter, entendre ce qui s’écrivait, et qui s’écrit, ce qui se peignait et se peint, son roman est un puissant aimant qui tourne dans la nuit, et évite d’être consumé par les flammes de l’Enfer.
 
« J’ai compris, puisque j’avais soudain 15000 ans, pourquoi la Dordogne, en ces temps si anciens, avait pu être le centre du monde. Bataille parle de “cet éclat merveilleux de la richesse pour laquelle chacun se sent né”. Je ne savais pas que j’étais né pour une telle richesse ».
 
Mouvement est un livre infini, libre, musical (des Suites Françaises comme chez Bach), radical, où le mensonge mafieux dominant, le terrorisme barbu et barbant, les sautes d’humeur des Bourses, sont soumis à la question de Hegel, de poètes et de peintres chinois, l’un ne va pas sans l’autre (Yan Zhongdao, Wen Zhengming, He Jingming, et d’autres encore), d’animaux sauvages et de mains négatives de Lascaux, d’un cardinal très amoureux et grandement lettré, d’un mathématicien qui danse et d’un penseur retiré dans une tour miraculeuse, qui chaque matin regarde ses vignes. Ce roman est une bibliothèque vivante, chantante, dansante, où les écrivains immortels (rien à voir évidement avec ceux de l’Académie) s’invitent à des visites de courtoisie, prouvant s’il était besoin, que la littérature échappe au destin du temps. Il suffit naturellement de répondre à cette invitation des écrivains disparus, ils ne cessent de frapper aux pages des auteurs d’aujourd’hui, mais ils sont peu nombreux à le savoir, à y être attentifs, et à les inviter dans leurs romans. Philippe Sollers, livre à livre, façonne cette bibliothèque vivante, vibrante, brillante et libre. Les citations qu’il affectionne et collectionne depuis 1958 bâtissent ce roman français, qui serait aussi très italien, un peu basque espagnol, parfois américain, européen comme l’entendait Casanova, un roman pris dans le Mouvement permanent des phrases, des mots, des couleurs, des parfums et des fleurs, finalement un roman très chinois.
 
« Et voici de nouveau Hegel, que je ne remercie jamais assez de m’avoir contacté, pour me redire que l’infini est la négation de la négation :
“Le mouvement est l’infini en tant qu’unité de ces deux opposés, et le temps et l’espace”.
Il fait très beau. J’avais besoin de ce café fort ».
 
Dans le film Sollers, l’isolé absolu, d’André S. Labarthes, l’écrivain montre un manuscrit à l’écriture bleue comme la mer : « Si je vais très bien, ça coule, c’est fluide, et ça vient exactement comme ça, le souffle, le poignet, et la main, le vent et l’eau sont à égalité… voilà du repos, voilà quelque chose qui dort bien ». Point de doute, Philippe Sollers va bien, Mouvement, d’évidence, est un roman apaisé, reposé, un roman contemporain, brillant, lumineux, grave (la terreur, les attentats, les égorgements, ce théâtre noir qui prend Palmyre pour sa Cour d’Horreur), fort de ce souffle, de cette fluidité, et de ce calme qui n’annonce pas la tempête. Mouvement est le roman de cette mer apaisée de l’écriture où se posent des mouettes curieuses (Hegel, la Bible, quelques Chinois, Bataille, Hölderlin), et qui embrasse l’aube d’été.
 
« Qui n’a pas vu un massif vibrant de pivoines en sortant de la visite, en Chine, d’un tombeau froid de l’époque Han n’a rien vu ».
 
Philippe Chauché


http://www.lacauselitteraire.fr/mouvement-philippe-sollers

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Laissez un commentaire