« Il se sentait comme atteint d’un syndrome que, faute de mieux, il avait baptisé du nom de “syndrome de la balle de ping-pong” – qui rebondit rapidement d’un point à l’autre selon un itinéraire qu’elle n’a pas décidé. Il en venait à se demander s’il n’était pas lui-même le personnage d’un autre qui le manipulait à sa guise ».
Le Bon, la Brute et le Renard est un roman chinois d’aventures américaines et françaises, un roman français d’aventure sous influence chinoise. Un roman qui rebondit d’un personnage à l’autre, d’une histoire l’autre, avec la vivacité étourdissante d’une petite balle blanche de quatre centimètres de diamètre et de moins de trois grammes, plongée dans un bain tourbillonnant. Il y a là sous nos yeux : trois chinois, Menfei, Zuo Lo et Bec-de-canard, partis de Chine pour la Californie, à la recherche de Yu, la fille de Menfei, dont il est sans nouvelles, ils vont croiser deux policiers américains dépêchés par la famille de Wolf Springfield disparu lui aussi. Il y a également Chen Wanglin, un écrivain qui n’écrit plus, paraît-il, chargé lui aussi de retrouver une jeune chinoise disparue entre Paris et Marseille. Le Bon, la Brute et le Renard est un roman où se croisent ces trois destinées aventurières, un roman porté par des dialogues étourdissants de drôlerie.
Les trois mousquetaires, que nous pourrions baptiser Groucho, Harpo et Chico, tant leurs échanges dynamisent et dynamitent le roman, le couple de policiers dont la gradée est tout aussi séduisante que son nom est imprononçable, ou encore le chinois romancier à Paris et à Marseille. Tous se demandent ce qu’ils font dans cette histoire, dans cette jonque qui a des allures de galère, un peu comme les personnages de En attendant Godot de Samuel Beckett. Et comme chez Samuel Beckett, on rit beaucoup à écouter Menfei, Zuo Lo et Bec-de-canard, le Bon, la Brute et le Renard, dont les dialogues sont ciselés comme des répliques de théâtre, d’un théâtre qui ne se prendrait fort heureusement pas au sérieux. Pour tout compliquer, dans Le Bon, la Brute et le Renard, on parle chinois, anglais, finnois, un peu français, on lit la poésie des Tang, des Yan et des Song, on y croise Don Quichotte (le livre), on s’égare et l’on manque d’air, tant il fait chaud dans le désert californien pour nos compères à la langue bien pendue, et aux réparties tourbillonnantes.
« Tu lisais, toi, enfant ? demanda Bec-de-canard.
Jusqu’à douze-treize ans, oui.
Et après ?
Après j’ai été adolescent et je suis devenu con.
Ouais, moi pareil.
Plus tard on s’en rend compte, et on passe le reste de la vie à essayer de redevenir aussi subtil, curieux, intelligent, malin et ouvert à tout ce que l’on était jusqu’à douze-treize ans.
Ça dépend des individus. Moi je suis devenu con plus tôt. A onze ans, maximum ».
Christian Garcin nous offre là un roman d’exception, une aventure littéraire inspirante et inspirée, où se croisent des univers – les enquêtes d’Ouest en Est, des États-Unis à la France – qui se répondent, se répandent dans un miroir où l’image se multiplie à l’infini. Le Bon, la Brute et le Renard n’est pas un nouveau roman sur une fiction en train de s’écrire, un pensum littéraire – les protagonistes de ces histoires loufoques et sérieuses se demandent si l’auteur de leurs aventures sait ce qu’ils sont en train de vivre, et finalement s’il maîtrise tout cela ! C’est tout l’inverse qui se produit, une brillante comédie endiablée se joue là, où l’ombre du metteur en scène se glisse entre les dialogues, non pour faire l’intéressant, pour quelques effets distanciés, mais pour le jeu romanesque, les disparitions et les apparitions, pour sourire de ce qu’il a imaginé et romancé, pour le plaisir d’inventer des histoires, plus improbables les unes que les autres. Ce roman est un vaste et réjouissant jeu des 7 familles. Le Bon, la Brute et le Renard séduit par sa grâce, son humour, sa légèreté, sa vélocité romanesque, ses inserts poétiques, ses descriptions fines et acérées, ses silences inspirés, ses dialogues piquants, où le réel se joue de l’imaginaire et où l’imaginaire aspire le réel, et où tous les personnages ont l’impression de dire : je préférerais ne pas ! Si l’art du roman est un jeu de 52 cartes, Christian Garcin possède le roi de pique, le valet de cœur, la reine de trèfle et les deux jokers, qu’il mélange avec bonheur, sans se départir du sourire à peine dessiné d’un joueur qui sait qu’il va remporter la mise, faire sauter la banque et réveiller la littérature par cette réjouissante fantaisie romanesque.
Philippe Chauché
http://www.lacauselitteraire.fr/le-bon-la-brute-et-le-renard-christian-garcin-par-philippe-chauche
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