« Certaines nuits, les étoiles lointaines semblaient très proches quand j’écrivais sur mon minuscule balcon, emmitouflée dans un manteau. J’avais échangé le bureau tapissé de livres de mon ancienne vie contre une nuit d’hiver étoilée. Pour la première fois, j’appréciais l’hiver britannique ».
Le Coût de la vie pourrait aussi s’appeler Le Goût d’une solitude retrouvée ou encore Le Coût d’une liberté nouvelle. Ce livre est le récit finement composé comme un vitrail, de la vie d’une femme après le divorce, de la vie d’une anglaise en liberté. Deborah Levy raconte un épisode de sa vie sentimentale où elle s’éloigne de son mariage : « Quand l’amour commence à se fissurer, la nuit tombe ». Elle quitte la maison familiale avec ses filles, et s’installe dans un appartement du sixième étage d’un immeuble qui attend toujours sa réhabilitation, un immeuble aux murs sinistres des couloirs de l’amour. Installée sur son balcon, elle écrit, et elle lit, écrire et lire, cette passion fixe est au cœur de son récit inspiré et vibrant. Écrire, lire et aimer : « Vivre sans amour est une perte de temps. Je vivais dans la République de l’Écriture et des Enfants ». Deborah Levy se souvient d’un poème d’Emily Dickinson : La gloire est une abeille – Elle chante – Elle pique – Et hélas, elle s’envole ! Une autre phrase fait écho à ce qu’elle vit, à ce qui la traverse : « Je suis “mariée” – j’en ai fini avec ça ».
D’autres femmes écrivains sont là, présentes : Audre Lorde, Marguerite Duras – On a toujours plus d’irréalité que l’autre – ou encore Simone de Beauvoir, des femmes écrivains en guerre ouverte contre les habitudes, pour être reconnues comme femmes, écrivains, en guerre pour leurs noms, ces noms qui donnent la vie et engendrent des livres et des films : Son nom de Venise dans Calcutta désert. Elle note que les hommes qu’elle croise ne donnent que rarement les noms de leurs femmes, elles sont sans noms, donc invisibles. Le Coût de la vie fait voir le nom, et la vie d’une femme, qui sait poser des noms sur les visages.
« Ma nouvelle vie se résumait à chercher des clés dans le noir ».
« L’écriture est une question de regard, d’écoute, et d’attention accordée au monde ».
« Je parle à ma mère pour la première fois depuis sa mort. Elle écoute. J’écoute ».
Le Coût de la vie n’a rien d’une autofiction, rien non plus d’un manifeste féministe enragé contre les hommes, mais c’est une ode à cette vie nouvelle, avec ses doutes, ses silences tendus, ses interrogations permanentes, mais aussi ses vives critiques, ses remarques piquantes visant des hommes qu’elle croise. Une ode également à la féminité, à la liberté en mouvement, au corps et aux mots libérés ou qui tentent de l’être. Le Coût de la vie est un livre porté par un caractère, un style, une voix (parfois les livres gagnent à être lus à haute voix, c’est le cas ici, comme c’est le cas des romans de Marguerite Duras). Ode aux enfants, à sa mère qu’elle accompagne jusqu’au dernier regard, ode à l’amitié, à son cabanon où elle écrit, à cette nouvelle liberté qu’elle enfourche comme son vélo électrique. Même s’il n’est jamais simple d’être en roue libre. Deborah Levy possède une force singulière, tellurique, unique, qui rend son livre incomparable, saisissant, séduisant par son énergie littéraire, sa légèreté, sa liberté, par une langue qui surgit comme le vent (1) et nous bouscule.
Philippe Chauché
(1) « L’écrit ça arrive comme le vent », Marguerite Duras
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