dimanche 25 avril 2010

Giacometti Vivant

Vérifiez, se dit-il ce matin, vérifiez si les peintres et les sculpteurs qui vous traversent et que vous traversez savent ou non ce que dessiner veut dire, vérifiez et peut-être saisirez vous si vous avez à faire à l'art du mouvement de vie ou au bavardage artistique marchand.

Giacometti vivant, il est là, dans la cour de la Fondation Maeght à Saint Paul. L'artiste qui marche, qui vous transperce dans la fraîcheur de l'été finissant, la dernière fois qu'il a avec lui échangé un regard et un silence, l'Inconnue était dans ce même mouvement, c'était pense-t-il les Temps bénis.

Giacometti vivant, était une énigme, se dit-il, un artiste qui ainsi traverse le Temps, et vous le fait traverser, est toujours une énigme - comme Cezanne, comme Picasso, comme Matisse, et quelques autres - et voilà, miracle des Temps, un petit ouvrage s'offre à lui, par le hasard des curiosités du Temps (1), un petit livre qu'il convient de garder à porter de main comme on garde à portée de coeur la photo de l'Admirable - tout est musique se dit-il.

" On a voulu voir, dans la première grande sculpture monumentale réalisée par Giacometti, La Femme-cuillère ( 144 x 51 x 23 cm, en 1926 ), l'influence de l'art africain et océanien, découvert lors de l'exposition organisée par le musée des Arts décoratifs en 1923-1924. La curiosité informée, la culture et le savoir, littéralement encyclopédiques de Giacometti n'excluent pas, en autres, cette référence qui, par ailleurs, n'explique en rien l'admirable manifestation de l'oeuvre. " Tout l'art du passé, de toutes les époques, de toutes les civilisations, surgit devant moi, tout est simultané... Les souvenirs des oeuvres d'art se mêlent à des souvenirs affectifs, à mon propre travail, à toute ma vie ", écrit-il en 1945. " (1)


Giacometti vivant face à la mort, celle de son compagnon de voyage T. qu'évoque Marcelin Pleynet, Giacometti :

" J'eus la vague impression que T. était partout, partout sauf dans le lamentable cadavre sur le lit, ce cadavre qui m'avait semblé nul ; T. n'avait pas de limite... A ce moment-là, je commençais à voir les têtes dans le vide, dans l'espace qui les entoure (...) Ce n'était plus une tête vivante, mais un objet que je regardais comme n'importe quel autre objet, mais comme quelque chose de vit et mort simultanément. Je poussai un cri de terreur comme si je venais de franchir un seuil, comme si j'entrais dans un monde encore jamais vu. " (1)

Et Pleynet toujours aussi lumineux : " Giacometti le dit et le répète, ce qu'il a vécu est non seulement inoubliable, mais encore ébranle les plus solides de ses convictions. Il découvre qu'il pense et qu'il voit autrement... Qu'il voit " le jamais vu ". Sait-il de quoi il s'agit ? Oui et non. Il ne cesse de le répéter : il a définitivement découvert qu'il doit rester vigilant quant à ce qui se donne à voir. " (1)

Et plus loin : " Que cette " transformation de la vision de tout " soit d'abord une pensée vécue où le caractère exceptionnel d'une situation dévoile l'essence même de la présence et des dispositions de l'être au monde, de façon dont Giacometti rapporte le souvenir qu'il garde de la mort de T. en témoigne.

Et que cette pensée soit la plus profonde qu'un homme puisse faire sienne, les sculptures de Giacometti, ces chefs-d'oeuvre sans exemple, l'attestent en nous entraînant émotionnellement en ces lieux où, pour reprendre un mot d'Hölderlin, " qui pense plus profond aime le plus vivant ". Mais alors, il faut aussi savoir aimer. " (1)





En ces temps, se dit-il, une seule question mérite notre attention si nous voulons marcher : savons-nous aimer ?


à suivre

Philippe Chauché

(1) GIACOMETTI / le jamais vu / Marcelin Pleynet / Éditions Dilecta / 2007

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