dimanche 18 avril 2010

L'Embrasement du Printemps


AFP PHOTO / LIBRAIRES ASSOCIES / ADOC-PHOTOS
Arthur Rimbaud, deuxième à droite, à l'hôtel Univers, à Aden au Yémen, dans les années 1880.

Il se dit, les Temps Modernes (?), sont passés maîtres dans l'art de l'effacement de la poésie vivante. Preuve éclatante, cette photo évènement, reprise ici et là, commentée, analysée, exposée, par quelques doctes spécialistes d'Arthur Rimbaud, par des journalistes aux gencives approximatives, et cela va de soi, mise en lumière et en vente sur le marché spectaculaire dominant. Et comme de bien entendu, cette photo est là pour effacer ce que n'a cessé d'écrire - donc de vivre - Rimbaud, - il est amusant de constater que cette foule de spécialistes foudroyés continue de croire qu'il y a deux Rimbaud, le dieu et le diable. On montre pour ne pas lire, on affiche pour ne pas méditer sur l'incroyable séisme que porte sa poésie, rien d'étonnant finalement en ces temps où dire l'Absolu est devenu une guerre permanente du goût, comme le notait un isolé absolu, c'est-à-dire un écrivain d'aujourd'hui, donc d'hier et de demain.
Tout est affaire de marché, c'est ce qu'il pense, celui des corps et des âmes se porte pour le mieux, celui des idées les plus funestes ( Michel Onfray parfait représentant de la France Moisie ) font la une des gazettes, celui de la littérature de la misère comble de joie les humanoïdes qui ne se rendent pas compte qu'ils sont en train d'être consumés par les flammes de l'enfer social.
Il se dit pour répondre à tout ce désastre organisé, seule posture, lire et relire Rimbaud, comme on le fait d'un corps aimé :

" J'ai embrassé l'aube d'été.

Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombres ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché. réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.

La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes d'éclats, une fleur qui me dit son nom. " (1)

" - Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un doux rire brutal
Qui s'égrenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal. " (2)

" A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombrelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ; " (3)

" Peut-être un Soir m'attend
Où je boirai tranquille
En quelque vieille Ville,
Et mourrai plus content :
Puisque je suis patient ! " (4)

" Assez vu. La vision s'est rencontrée à tous les airs.
Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil,
et toujours.
Assez connu. Les arrêts de la vie - O Rumeurs et Visions !
Départ dans l'affection et le bruit neufs ! " (5)

Il se dit enfin, écrire c'est aussi faire croire que l'on n'écrit plus. Écrire, ajoute-t-il, c'est vivre ce que son corps écrit.
Écrire s'est se détacher de la gloire.
Écrire c'est être dans l'ailleurs du Temps, et d'évidence se construire une fort mauvaise réputation après avoir été admiré par les assis.
Écrire c'est aussi lire : legere " ramasser, cueillir ", " rassembler, recueillir ", " choisir " (6).
Rimbaud a ramassé son Temps pour cueillir la vie vive.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Aube / Illuminations / Arthur Rimbaud / Oeuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard / 1972
(2) Première soirée / Poésies / d°
(3) Voyelles / Poésies / d°
(4) Le pauvre songe / Vers nouveaux et chansons / d°
(5) Départ / Illuminations / d°
(6) Dictionnaire historique de la langue française / Le Robert

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