samedi 10 septembre 2011
Chronikà Biblia
photo Edouard Boubat
Je traverse la ville du sud au nord comme s'il s'agissait d'un jungle où le risque de se faire dévorer par quelques sauvageries est permanent Seule solution, pensais-je, me fier aux situations, les convoquer et en faire bon usage, comme on le dit de la rencontre d'un corps ou d'un livre : " Lecture continue de Chateaubriand, plaisir continu dont j'hésite à me défaire. Je laisse un moment les Mémoires pour revenir à la Vie de Rancé. L'intelligence et la maîtrise des formes rhétoriques paradoxalement libèrent le discours de toute contingence pour engager le récit dans la pure abstraction du balancement calligraphique de l'arabesque : " Tout a changé en Bretagne hors les vagues qui changent toujours ", ou " Lorsqu'on erre à travers les Saintes et impérissables Écritures, où manquent la mesure et le temps, on n'est frappé que du bruit de la chute de quelque chose qui tombe de l'éternité. "... Et comme je reçois un livre affreux sur un peintre qui n'est pas moins misérable : " Fermons les yeux mon âme ! tenons-nous si éloignés de toutes ces choses que nous ne puissions les voir et en être vu. " (1)
Je traverse mon corps de bas en haut comme s'il s'agissait d'un journal qui suivrait à la nuit, la nuit, mes agissements et mes rêves, note-t-il. Je vis, donc je rêve, et l'inverse se vérifie sur l'instant, comme cette conversation, il y a des années à Séville, dégagée de toute intention sur une placette portant le nom d'une sainte que je devinais sensuelle : échanges rapides, évocations plus ou moins partagées, silences, sourires, cigarettes, manzanilla glacée, puis évanouissement, et donc, Retournement du Temps.
Traversée du Temps, je m'y emploie à temps compté.
José Ortega Cano
Il revoit son visage sans affect, plongé dans une inébranlable certitude, 15 août 1992, arènes de Bayonne, de mauvaises gens hurlent, les insultes fusent des tendidos, on lui reproche d'avoir refusé son taureau, de l'avoir très vite ignoré, de ne pas l'avoir tué, cette histoire n'est pas la mienne, les trois avis viennent de tomber, il lui faut traverser le cercle sous la colère, l'injure, la furie, il prend son temps, il l'arrête même, ralenti le plus possible sa marche, certains y voient un défi, d'autres une affirmation de l'Etre face au Néant maléfique partagé, deux hommes se sont levés et le saluent, il ne les regarde pas mais il les voit : " Un diamant ne brille jamais plus que dans les ténèbres de la nuit ; et un héros ne paraît jamais davantage que dans les circonstances capables d'obscurcir la gloire de toute autre que lui. " (2)
Il regarde cette photo, il sait l'homme en grand danger, fracassé, la mort l'a frôlé sur les routes andalouses, et elle n'a semble-t-il pas dit son dernier mot. Qui se lèvera pour le saluer ?
à suivre
Philippe Chauché
(1) Spirito Peregrino / Chroniques du journal ordinaire / Marcelin Pleynet / Hachette P. O. L. / 1981
(2) Le Héros / Baltasar Gracian y Moralès / traduc. Joseph de Courbeville / Editions Champ Libre / 1973
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La route des destins fracassés,
RépondreSupprimerUn bitume sans héros.
juste la tristesse, immense...
Au delà de l'immense tristesse, il y a chère Maia, la permanence de la mémoire vive.
RépondreSupprimerMaudite soit cette troisième corne meurtrière.
Une pensée fraternelle.
Philippe Chauché