" J'écris toujours en musique, ou plus justement, ce que j'écris vient de la musique et y retourne. "
Fin de matinée solaire, bleu absolu, léger vent frais, il passe d'un quartier l'autre et pousse la porte de ses jeunes et charmants libraires, la dernière livraison de l'Infini l'attend, mais pas seulement : " Nous avons reçu Sprezzatura, le dernier numéro, ils sont venu nous le livrer, l'un d'eux va semble-t-il s'installer ici. "
Fin de soirée lunaire, un musicien d'orchestre, deux pianistes, une hautboïste, deux chanteurs musiciens amateurs, le musicien de pupitre se livre à un exercice tant de fois entendu, il évoque avec mille détails et une certaine complaisance lubrique ses expériences musicales dans l'un des grands orchestres parisiens, pas un mot sur la joie, sur la musique qui danse, mais sur les plaisanteries qui fusent des pupitres, pas un mot sur l'exercice spirituel du déchiffrage, sur l'attention à la couleur, à la phrase, à la beauté, à la juste place de chacun dans le mouvement collectif, non, seulement, le rire et l'ennuie, l'ennuie et le rire de brasserie bavaroise. Contagion de la Terreur et du XIX° pense-t-il, poison qui a contaminé toute l'histoire de la musique, et la musique même, pense-t-il, un rien désolé d'entendre tout cela, alors, il n'écoute plus que de très loin, pour à son tour faire comme si.
" Si vous voulez vérifier l'intensité de votre passion, livrez-la à la musique. "
Il se souvient que la musique de Bach, les partitas lui donnaient une belle allégresse, une autre oreille, et donc un autre corps amoureux, il écoute la partita numéro 4 par Glenn Gould tout en lisant quelques phrases au hasard de A l'oreille, du sérieux, joyeux et lumineux collectif de la revue, en pensant, qu'il suffit d'être prêt pour que cela vienne, pour que la littérature se glisse dans la musique, pour que la musique irrigue la littérature, d'un corps l'autre en quelque sorte, mais aussi finalement d'une musique l'autre. Mais aussi d'un siècle l'autre, d'un Temps l'autre, d'une Terreur l'autre. Première victime, qui n'a jamais porté ce crime devant un tribunal international, la musique, mais elle tient sa victoire, victoire qu'elle est ton nom, pouvons-nous nous demander ?
Le ciel s'est éclaircie, même si les tenant du XIX ° sont aujourd'hui tatoués, rappeurs et hurleurs, Vivaldi et Da Ponte s'en amusent, le vieux Bach n'en doute pas, a-t-il d'ailleurs douté de l'éclaircie, les musiciennes et les musiciens jouent dans la joie, embarquement pour le Venice Baroque Orchestra d'Andrea Marcon
Alors musique !
Mesdames, Messieurs, s'il vous plaît, un peu de silence, nous reprenons !
" Au commencement était l'écoute. Le ciel ? La terre ? Non, l'écoute. Avant ? Il n'y a pas d'avant. Plutôt un substrat passif, atonal : la surdité. Ensuite, ce sera l'histoire de ce handicap et de la manière de s'en dégager. " (1)
" Si Bach est la preuve de l'existence de Dieu, Casals poursuit la démonstration de son incarnation. " (1)
" Il semblerait que quelque 600 clavecins furent détruits d'un seul coup en place de Grève vers la fin de 1793. Les quelques rescapés seront, plus tard, utilisés comme bois de chauffe au Conservatoire. Le couvercle du clavecin claque, la fête galante est terminée ; un miracle de légèreté finit dans un bain de sang ; et puis la culpabilité. " La France ? Combien de culpabilités ? " (1)
" La grande leçon française ? Fuyez toute musique qui ne vous donne pas le désir de danser. " (1)
Allons, Mesdames et Messieurs, on reprend ! et nous avons le plaisir de jouer pour quelques amis qui se sont assis au fond de notre chère Chapelle, qu'ici ils soient salués et remerciés, vous pourrez leur dire deux mots plus tard, mais nous avons de la joie à produire, de la légèreté à dessiner et un livre à écrire.
Musique ! A vos amours !
à suivre
Philippe Chauché
(1) La musique et la danse - Sandrick Le Maguer ( dont on peut aussi lire son réjouissant Portrait d'Israël en jeune fille - Gallimard )
Grand merci de votre lecture réjouie ! Très amicalement, Stéphane Marie (Joachim Delaître sur Facebook)
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