" Dans le petit jardin de six toises carrées il n'y avait que de la salade et un figuier. Je ne voyais pas de figues, mais Barberine me dit qu'elle en voyait en haut, et qu'elle irait les prendre si je voulais bien lui tenir l'échelle. Elle monte, et pour parvenir à en prendre quelques-unes qui étaient distantes, elle allonge un bras, et elle met son corps hors d'équilibre se tenant de l'autre main à l'échelle.
- Ah ! ma charmante Barberine. Si tu savais ce que je vois.
- Ce que vous devez avoir vu souvent à ma soeur.
- C'est vrai. Mais je te trouve plus jolie.
Sans ce soucier de me répondre, faisant semblant de ne pas pouvoir atteindre les figues, elle met un pied sur une branche élevée, et elle m'offre un tableau dont l'expérience la plus consommée n'aurait pas pu imaginer le plus séduisant. Elle me voit ravi, elle ne se presse pas, et je lui sais gré. L'aidant à descendre, je lui demande si la figue que je touchais avait été cueillie, et elle laisse que je m'éclaircisse restant entre mes bras avec un sourire, et une douceur qui me mettent dans un instant dans ses fers. Je lui donne un baiser d'amour qu'elle me rend dans la joie de son âme qui brillait dans ses beaux yeux. Je lui demande si elle veut me la laisser cueillir, et elle me répond que sa mère était obligée d'aller le lendemain à Muran, où elle resterait toute la journée, que je la trouverais seule, et qu'elle ne me refuserait rien.
Voilà le langage qui rend l'homme heureux quand il sort d'une bouche novice, car les désirs ne sont que de vrais tourments, ce sont des peines positives, et on ne chérit la jouissance que parce qu'elle en délivre. Par là nous voyons que ceux qui préfèrent un peu de résistance à la grande facilité manquent de jugement. "
( Livre I - Volume 4 - Chapitre X - p. 842 - Édition Bouquins Robert Laffont - 1993 )
L'occasion fait souvent le lecteur, la situation l'y conforte, c'est aujourd'hui la réédition plus affinée qui occupent les éditions Laffont et Gallimard, elles ont pour mémoire les quelques 3 700 pages in-folio du manuscrit déposé à la Bnf, nous disposons d'une première édition qui la première s'aventura à nous offrir cette Histoire écrite en français dans un petit château de Bohême où l'aventurier européen est mort.
A Dux, Casanova visite sa vie et la langue française, et ce n'est pas un moindre mérite, écrire revient à vivre, et bien vivre et bien aimer conduisent toujours à bien écrire.
Philippe Chauché
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