vendredi 5 septembre 2008

Le Ravissement




Je traverse la rue, les martinets ont disparu, envolés pour l'Afrique me dit-on, aspirés par d'autres ravissements, les vierges de ma rue sourient. Léger, je flotte, et laisse mes yeux s'abandonner à la contemplation du ciel, bleu griffé de blanc, silence, la ville sommeille. Loin d'ici, une femme d'étonnement, les yeux perdus sur les vagues blanches qui se lèvent du large, ouvre ce livre, que son amoureux de l'instant lui a offert, fleurs d'été, elle sourit, pense à son corps désiré, revient au livre nécessaire, je l'écoute à distance :

" ... La fête de tous les saints - le Roman...
Sur la terrasse, dans le ciel, le français m'entre dans la tête comme un bateau... Roman du français... Voyage dans le roman... Voyage au bout de la nuit... après le déluge : Tel Quel, L'Infini... un prétexte... la navigation, le germe, le lieu, le vase alchimique actuel... la bonne disposition du temps... à la porte, l'arche ( cette porte est une porte sans porte ) Rimbaud lecteur de Baudelaire... un vrai Dieu, Rimbaud... Shakespeare... Homère enfant... le grec dans le français.. au retour... les yeux, les oreilles des plus riches pensées..." (1)

Belle voix, le français comme une musique, le français comme une peinture, le français comme un roman, roman du temps, roman de l'espace, roman de vie, roman de corps, roman fidèle à l'infidélité dans la fidélité, roman de peau, d'extase, roman du silence, roman de lectures de la Bible, à l'envers parfois, trouble, coeur à l'unisson, faisons comme ci de rien n'était, roman du roman, merveille des merveilles, sa voix poursuit ce chemin secret qui se glisse sous ma peau, roman de nuit, route de jour, ou l'inverse, je la regarde chanter, éblouissement, ravissement, instant éclat, violons et contrebasse, j'en suis heureux. En d'autres lieux, cette femme aux yeux émeraude lit à haute voix, j'écoute :

" La précoce violette, je l'ai grondée :
" Dis-moi, tendre voleuse, ton doux parfum
Ne vient-il pas des lèvres de mon amour ?
Et la couleur de tes joues, ton orgueil,

Du sang de ses artères ? " J'ai condamné le lys
Qui te vole une main, et de la marjolaine
Les touffes, tes cheveux. Apeurés, les roses
Se cuirassaient de leurs épines : l'une

Rougissante de honte, une autre blanche
De désespoir. Et ni rouge ni blanche, une troisième
Avait volé ces deux voleuses, et au larcin
Ajoutait celui de ton souffle ; mais te vengeait
Un ver qui en rongeait l'orgueil, à en mourir.

J'ai remarqué d'autres fleurs. Mais aucune
Qui ne t'eût pris son parfum , sa couleur."(2)

La journée sera chaude, je vole à travers les rues de la ville aux martinets absents, ils reviendront me souffle t-elle, le temps de trois lunes blanches, d'un tir d'arc argenté, et de mille amours.

à suivre

Philippe Chauché

(1)Marcelin Pleynet / Le savoir-vivre / L'Infini / Gallimard
(2)William Shakespeare / Les Sonnets / traduct. Yves Bonnefoy / Poésie / Gallimard

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