mercredi 17 septembre 2008

L'Infini




Deux numéros d'une revue littéraire française, deux numéros que le temps rapproche, l'un du Printemps, l'autre de l'Automne, nous sommes paraît-il en 2008, mais on peut en douter, deux numéros d'une revue éditée par un écrivain bordelais, chinois et vénitien, et soutenue par l'un des plus beaux paquebot de l'édition française : Gallimard.

Une revue placée sous la haute protection vivifiante de Picasso, l'un de ses Mousquetaire est là, il nous regarde, comme nous regardent les écrivains qui " prennent tout le système à revers, le trouent, le désarticulent " (1), mais aussi d'Isidore Ducasse, " Cette publication permanente n'a pas de prix. Chaque souscripteur se fixe à lui-même sa souscription ".

Lisons. Ecrivons. Car c'est de cela dont il est question. Philippe Sollers y déroule quelques textes écrits ici ou là, pour le papier volatile des journaux, et qui ici dans cet espace, retrouvent une autre densité, et vérifient que c'est un roman qui s'écrit, roman permanent du temps. Je suis ici, le passé est à portée de main et le futur dans mon coeur. Ainsi, nous pouvons le vérifier et faisant naître des titres choisis par l'écrivain pour ces courts textes, un fil, un tissage, un renversement, une autre floraison, cela pourraît être : " Il s'agit de Paroles secrètes, celles de Saint-Simon, furieux musicien du temps présent, la rage de Flaubert, la main de Sade, l'étrangeté de Jünger, pour parler toutes les langues. " Mais aussi, tout est possible, les lettres se renversent, se croisent, les idées multiples naissent là : " Parler toutes les langues dit-il, celle de Saint-Simon, de Flaubert, de Sade, de Jünger, tant de paroles secrètes que je porte ici au grand jour. " Tout est possible !

Lisons, écrivons :

" Gnose, en grec, veut dire " connaissance ". Un gnostique est donc un " connaisseur ", c'est à dire quelqu'un qui pense que le salut passe par une expérience directe de la divinité l'arrachant à la mort. Vous ouvrez ces textes éblouissants, et ils vous parlent ouvertement, mais de façon cachée, d'une extraordinaire bonne nouvelle à comprendre ici, tout de suite, comme dans un éternel présent. Ce sont des évangiles : Evangile selon Thomas, Evangile selon Philippe, Evangile de la Vérité, et bien d'autres. Ils ont été assez vite rejetés en dehors des évangiles dits " canoniques " ( les quatre ), et déclarés " hérétiques ", on comprend vite pourquoi. (1)

Plus loin, mais c'est finalement la même histoire :
" Le duc vous prévient : tout ce qu'il écrit n'est qu'ordre, règle, vérité, principes certains. En face de lui, il n'ya que " décadence, confusion, chaos " ( déjà ! ). Les mémoralistes précédents, Dangeau par exemple ? " Il n'a écrit que des choses de plus repoussante aridité. " Pourquoi ? " Il ne voyait rien au-delà de ce que tout le monde voyait. " (1)

Mais aussi :
" Bêtise de la politique, bêtise de la littérature, bêtise de la critique, médiocrité gonflée à tout va, il faut dire que la fin du dix-neuvième siècle se présente comme un condensé de tous les siècles, ce qui a le don de mettre Flaubert en fureur. Le Pouvoir est bête, la religion est bête, l'ordre moral est insupportable, bourgeois ou socialistes sont aussi imbéciles les uns que les autres, et ce qui les unit tous, preuve suprème de la Bêtise, est une même haine de l'art. " Qui aime l'Art aujourd'hui ? Personne ( voilà ma conviction intime ). Les plus habiles ne songent qu'à eux, qu'à leur succès, qu'à leurs éditions, qu'à leurs réclames ! Si vous saviez combien je suis écoeuré souvent par mes confrères ! Je parle des meilleurs. " Il faut lire ici ( ou relire ) la grande lettre à Maupassant, de février 1980, elle est prophétique. Un programme de purification du passé est en cours sous le nom de moralité, mais en réalité ( et nous en sommes là aujourd'hui ) par la mise en place d'une conformité fanatique plate. Il faudra, dit Flaubert, supprimer tous les classiques grecs et romains, Aristophane, Horace, Virgile. Mais aussi Shakespeare, Goethe, Cervantès, Rabelais, Molière, La Fontaine, Voltaire, Rousseau. Après quoi, ajoute-t-il, " il faudra supprimer les livres d'histoire qui souillent l'imagination. " (1) Toute ressemblance avec des situations éclatantes aujourd'hui, n'est que le fruit de l'imagination de l'auteur !

Et enfin à propos du Marquis de Sade :
" Entraînement constant, fouilles dans la langue elle-même, à travers des listes d'antonymes et synonymes, ouverture répétée vers la prolifération. Je trouve particulièrement révélatrice cette liste effervescente : " faveurs, attraits, traits, beauté, désir, plaisirs, volupté, touchants appas, divins, doux, amours, sentiments, soupirs, naître, grâces, dieu-dieux, déesse, tendresse, odeurs, feux, flammes, âme, coeurs, penchants, rose, fleurs, tendrement, ardemment, joies, délices, candeur, naïveté, oeil, yeux, bouche, trône, empire, fers-chaînes " après quoi deux mots barrés : " captiver, soupirer ". Et ça reprend comme une fugue : " illusions, prestige, rigueurs, choix, foi, idéal, souvenir, promesse, fête, bonheur, malheur, inspirer, respirer, désirer, souhaiter, jouissance. ". Sade est au clavecin, il improvise, il fait monter les mots, il compose, en vrai musicien baroque ( c'est un génie baroque ), une Suite française, à la Bach. " (1)

Ecrire, c'est celà : inspirer, respirer, désirer, simplement !

Ecrire, c'est aussi danser, faire s'envoler son corps, lisons ce qu'en dit Florence Lambert :
" Mon fils me demande :
- Est-ce que tu peux dire pourquoi tu aimes la danse ?
- Oui... Je crois... je ne pense pas que le corps soit silencieux... en dansant le corps parle.
L'inserve aussi. " (2)

Et puis à la page 95, une photo d'Ezra Pound, en 1913. Pound qui fait le tour du monde, le tour du jour aussi et de la nuit. (2)

Lisons, poursuivons la lecture de cette revue littéraire française, l'Automne est là, c'est décisif en ce moment, ciel gris sombre, fraîcheur qui s'enroule autour de mes mains nues en train d'écrire, aucun oiseau, légère douleur à la tempe droite, impact insibile caché par des mèches de cheveux, c'est dur et froid, ce n'est pas malin m'a-t-on assuré, pas très malin en effet.

L'Automne donc, et Breton, Blanchot, Wilde, la littérature ou le nerf de la guerre, la guerre des nerfs littéraire agite tout le monde, jeux olympiques littéraires, inflations d'admirations et de détestations, rires, sourires entendus, moqueries, règlements de compte, romans contre romans, étrange sentiment de déjà entendu et de déjà vu. Loin, très loin de tout cet affreux défilé de mode, le visage de Jacqueline Risset, cet été à Avignon, venu parler de la Divine Comédie et de Dante, silence, lire dit-elle, entendre dit-elle, voir dit-elle, Dante est là, il traverse la cour d'Honneur du Palais des Papes, miracle de la langue, miracle de la littérature :
" Les tout premiers états étranges, instants vides, instants autres, étaient faits de passages - impression d'être traversée par des vents très légers, flottements imperceptibles ; pas de voix, pas de lumières. Vols d'oiseaux invisibles à travers l'espace et le corps. (2) J'y lis une définition de la Divine Comédie.

Breton pour terminer, magie de Breton :
" Le pseudo-réalisme revient sans cesse comme chez lui, le roman familial ne s'est jamais aussi bien porté ( malgré Freud, que Breton salue à maintes reprises ), l'asservissement des consciences n'a peut-être, malgré nos prétentions, jamais été aussi fort. On rêve, en lisant ce que Breton écrit de Picasso en 1933 : " Un esprit aussi constamment, aussi exclusivement inspiré, est capable de tout poétiser, de tout ennoblir ". (3) Miracle de l'Automne, miracle de l'écrivain et du peintre.

à suivre

Philippe Chauché



(2) L'Infini N° 103
(3) L'infini N° 104

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Laissez un commentaire