vendredi 12 septembre 2008

L'Oeil du Sculpteur



Voilà bien un homme dangereux, trop près du corps, trop attentif à ce qui s'y joue, certains diraient trop sexuel, cela se vérifie à chaque instant, regardez cette aquarelle, de près, vous y verrez le mouvement du corps qui s'élève, l'enjeu est là - il serait en ces temps bienvenu que l'on s'y attache, le religieux est là, et nulle part ailleurs, la pornographie permanente se détruit face à Rodin, miracle des artistes face aux publicitaires, belle leçon d'un moderne qui se nourrit des anciens, le reste n'est que blabla et commerce -, il y a plus de vingt ans, un écrivain des hauteurs publiait ces fameux dessins, formidable acte de résistance, lisons :

" On en parlait, on savait qu'ils étaient là, quelque part, on en avait vu certains ici ou là, mais il était difficile d'imaginer qu'ils étaient groupés en masse offensive, harmonique, formant une pensée sans équivalent dans la représentation des corps.
Les voici donc, ces dessins, et je crois qu'il faut les imaginer comme le vrai jour des sculptures répandues un peu partout dans la nuit, comme la vraie lumière d'une chambre noire révélant la signification des bronzes et des plâtres tordus dans les musées, les jardins, les rues. A quoi pense le Penseur ? A ça. Que contemple, enfermé en lui-même et rejeté en arrière, le Balzac ? Ça. Sur quoi ouvre la Porte de l'Enfer ? Sur ça. A quoi rêve Hugo sans pouvoir le dire ? A ça. D'où sortent tant de bustes, de mains, de jambes et de gestes, de visages tendus, de couples musculeux, de demi-dieux ou de déesses emportées ? De ça. " (1)On ne saurait mieux dire.
Où se situe l'enjeu aujourd'hui? Dans ça. Où apparaît l'arme qui va désarmer tous les donneurs de leçon modernes ? Là. Qu'elle est la révélation qui renvoie définitivement les censeurs, policiers du corps, radoteurs de la pensée, publicitaires de la peau, illettrés rageurs de la jouissance, contempteurs du diable ? Ça.
De la même façon qu'il faut lire enfin, ligne à ligne, Proust, Joyce, Miller, Sade, Claudel, et - vous pouvez compléter -, il convient pour retrouver sa propre vibration lire trait à trait les dessins de Rodin, cela s'appelle une résurrection, le corps n'est pas autre chose, les lumières du corps des femmes est ainsi, lumières et corps, autre révolution, sur laquelle l'échafaud n'a point de prise.

à suivre

Philippe Chauché


(1)Philippe Sollers - Alain Kirili / Rodin - Dessins Érotiques / Gallimard

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