mardi 14 octobre 2008

Evangile de la Baleine



" Qui est Lucifer ? Justement, le Diable en tant qu'il porte la lumière. Or, à travers la chasse à la baleine, tout le roman traite de la face négligée de la lumière - son revers de massacre, dont Moby Dick incarne pour Achad la violence artificielle. En un sens, on peut soutenir que le livre est dans son ensemble une liturgie de Lucifer. Mais, s'il se soutient d'une telle liturgie, en même temps il passe à travers elle et la transperce de part en part : ce n'est pas depuis la position du roi Achab et de son chapelain Fédallah qu'il s'écrit ; mais depuis le coeur du sacrifice, où se trouvent - comme dirait Rimbaud - " le lieu et la formule ". (1)

On n'en n'aura jamais fini avec le Diable, si justement on ne comprend pas ce qu'il complote, en quoi il porte la lumière, en quoi cette lumière est autre, masquée pourraît-on ajouter, trompeuse d'évidence, ce Diable là domine notre belle époque, personne ne le dit, sauf trois ou quatre écrivains, et oui, des écrivains. Ce sont eux, qui traquent le Diable, pour mettre en lumière ce qu'il porte vraiment, le reste n'est que blabla et chichi religieux, l'écrivain a l'imposant mérite de saisir dans ses écrits, ce qui est à l'oeuvre aujourd'hui, ce qui était à l'oeuvre hier. Le lire est une expérience intérieure et extérieure, sans l'une, l'autre s'efface.

" Derrière les heurtoirs de bronze des palais de Venise, non seulement ce qui se concocte n'a pas en vue le Moi, ni " l'homme ", ni la représentation : mais dans le jeu des conspirateurs se prémédite un RETOURNEMENT qui, un jour, emportera ces instances. Si tu compares la métaphysique à une tapisserie, ou du moins à une fable qu'elle raconte, le Néant y tient le rôle du comparse - même pas, celui d'un élément du paysage : un morceau de ciel, mettons, ou le toit d'un château. Eh bien, le jeu consiste à raconter la fable d'une nouvelle manière, à même la tapisserie, en ramenant de loin l'attention sur ce morceau de ciel, sur ce toit. Alors, tout change. Un souffle te vrille dans une dimension que tu ne connaissais pas, tord et enroule tes nerfs. Une force qui excède les limites t'attire au centre d'un rayonnement aigu, brutal. Tu n'as plus d'idées, plus d'images : la tapisserie brûle, brûle dans un feu sans commencement ni fin. La lumière de ce feu est une pensée qui advient sans cesse. Ne me dis pas que les humanoïdes échouent à coïncider avec cet évènement perpétuel.
D'abord cela ne prouve rien.
Mais surtout l'enjeu est là : dans le fait de passer la barrière, et d'y arriver sans carboniser ses déchargeoirs mentaux.
Qui passe la barrière met sa tête en danger. Alors, il y a des crânes qui EXPLOSENT.
Il y a aussi des crânes qui résistent. " (2)

et voilà, regardez ces crânes qui résistent !

à suivre

Philippe Chauché

(1) François Meyronnis / Yannick Haenel et François Meyronnis Évangile de la baleine / L'infini n° 104 / Gallimard
(2) François Meyronnis / L'Axe du Néant / L'Infini / Gallimard

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