jeudi 2 octobre 2008

L'Espace Ouvert



" J'ai dit que j'aimais singulièrement à méditer dans la douce chaleur de mon lit, et que sa couleur agréable contribue beaucoup au plaisir que j'y trouve.
Pour me procurer ce plaisir, mon domestique a reçu l'ordre d'entrer dans ma chambre une demi-heure avant celle où j'ai résolu de me lever. Je l'entends marcher légèrement et tripoter dans ma chambre avec discrétion ; et ce bruit me donne l'agrément de me sentier sommeiller ; plaisir délicat et inconnu de bien des gens.
On est assez éveillé pour s'apercevoir qu'on ne l'est pas tout à fait et pour calculer confusément que l'heure des affaires et des ennuis est encore dans le sablier du temps. Insensiblement mon homme devient plus bruyant ; il est si difficile de se contraindre, d'ailleurs il sait que l'heure fatale s'approche. - Il regarde à ma montre, et fait sonner les breloques pour m'avertir ; mais je fais la sourde oreille ; et, pour allonger encore cette heure charmante, il n'est sorte de chicane que je ne fasse à ce pauvre malheureux. J'ai cent ordres préliminaires à lui donner pour gagner du temps. Il sait fort bien que ces ordres, que je lui donne d'assez mauvaise humeur, ne sont que des prétextes pour rester au lit sans paraître le désirer. Il ne fait pas semblant de s'en apercevoir, et je en suis vraiment reconnaissant.
Enfin, lorsque j'ai épuisé toutes mes ressources, il s'avance au milieu de ma chambre, et se plante là, les bras croisés, dans la plus parfaite immobilité.
On m'avouera qu'il n'est pas possible de désapprouver ma pensée avec plus d'esprit et de discrétion : aussi je résiste jamais à cette invitation tacite ; j'étends les bras pour lui témoigner que j'ai compris, et me voilà assis. " (1)

J'ai du écrire un jour que j'affectionnais singulièrement à rester couché alors que le soleil s'invitait avec insistance dans ma chambre. Ce plaisir qu'il m'arrivait de partager avec une déesse, je ne le goûtais totalement qu'en été, j'ouvrais alors l'un des livres qui me protègent des diableries ambiantes et qui s'alanguissent sur le parquet et laissais les mots et les phrases me guider vers une nouvelle journée, que je souhaitais délicieusement allongée, je pouvais ainsi rester une ou deux heures sans rien faire d'autre que lire lentement entre le sommeil et le jour qui tente de le troubler, puis parfois il m'arrivait de me rendormir les yeux ouverts sur la vie qui s'éveille, moment d'exception, la déesse attentive m'invitait alors à partager quelques improvisations florales sur sa peau, délicieux présages d'une journée qui serait placée sous la protection des anges de la vie amoureuse et des sensualistes du verbe flamboyant et du corps conjugué.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Voyage autour de ma chambre / Xavier de Maistre / Mille et Une Nuits

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