samedi 11 octobre 2008

La Muleta du Philosophe



" Quelle folie de regretter et de déplorer d'avoir négligé de goûter dans le passé tel bonheur ou telle jouissance ! Qu'en aurait-on maintenant de plus ? La momie desséchée d'un souvenir. " (1)

"... il me suffit de dire que les amoureux de la sagesse et les amateurs du pire ne s'opposent pas tant intellectuellement que psychologiquement : alors que les optimistes ne plaisantent pas avec les motifs d'espérer en une existence moins tragique, les pessimistes ne se privent pas d'en rire. " (2)

Cet écrivain, n'a pas l'habitude d'avancer masqué, sauf en situation extrême, mais là n'est point le cas, il dévoile ses cartes, et certaines sont foudroyantes, lisons :

" Selon une opinion bien vissée dans les crânes, la volonté de culpabiliser les humains pour leurs penchants n'apparaît qu'avec les doctrines juives et chrétiennes. C'est méconnaître combine l'accusation demeure le plus archaïque des penchants, le plus impérieux et le plus jouissif. Chez les humains, désigner un individu, ou un groupe, ou une classe, ou une ethnie, ou une génération, ou une société, etc., comme coupable de ce que la réalité ne ressemble en rien à l'idée qu'ils se font d'un monde est une manie contractée dès l'âge de pierre et à laquelle ils donnent cours le plus libre dans l'histoire. Ironiquement, Nietzsche décèle dans cette manie une humeur occulte qu'il appelle "moraline", poisson affectant principalement nombre de philosophes qui, eux, quand ils accusent," ne font pas dans le détail. " (2)

Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'écrivain n'est pas un instant, le fût-il un jour, frappé de " moraline ", c'est même tout le contraire, fidèle à quelques penseurs aux plumes affûtées, qu'il ne manque pas au passage de saluer, comme on peut le faire à la fin d'un banquet, qui tourne à la déroute, par un grand éclat de rire alors que coule navire, et que les philosophes du bonheur s'agitent devant leurs pelles et leurs râteaux, notre écrivain a l'audace, car il s'agit bien de cela, de les épingler pour leur " blabla " et leur " chichi " vertueux. Poursuivons :

" ... les humains savent bien qu'ils ne vivent pas dans un monde, que la somme de leurs passions ne fait pas l'Homme et que nul logos divin ou cosmique n'ordonna, n'ordonne ni n'ordonnera jamais le réel. Seulement, ce savoir intuitif, charnel même, que Miguel de Unamuno appelait le " sentiment tragique de la vie ", est une douleur. Refoulé chez le plus grand nombre, il génère un pessimisme malheureux consistant à déplorer que le monde soit " mal fait " - toujours inadéquat à ce qu'on en attend -, contraire à un pessimisme heureux, cultivé, quant à lui, par un petit nombre, consistant à s'arranger de l'évidence que, n'étant " ni fait ni à faire ", le " monde " n'a pas vocation à satisfaire les désirs humains. Or, c'est du pessimisme malheureux, de ce sentiment que le monde pâtit d'une malfaçon, que surgit le désir optimiste de l'améliorer, de le modifier, de le transformer soit dans l'ensemble, soit dans le détail, à commencer par les humains, magiquement métamorphosés en l'un des ces " universaux " : l'Homme. Aujourd'hui décevant, le réel appelle l'action pour que demain il ressemble enfin à un monde, pour que l'Homme y séjourne comme en sa cité en citoyen souverain et béat. " (2)

Il serait ici malvenu de rappeler les noms, ils sont légions, de ces chers philosophes qui aujourd'hui tout autant qu'hier - ce que rappelle avec finesse le livre - nous proposent quelques belles recettes du bonheur, de la justice, de l'écoute de soi et de l'autre, de la paix, de l'accommodement des différences, de la découverte d'une " contre-histoire de la philosophie ", de quelques pratiques naturelles, sexuelles et hygiéniques, que sais-je encore ? L'écrivain ne manque pas de les retourner, tel un torero pratiquant à la fin de sa faéna, cette " passe " du "châtiment" qui va lui permettre de mettre à mort son taureau, mais cette " passe " là, cette attitude, cette aptitude n'est pas donnée à tout le monde, il faut pour pour cela n'être " dupe de rien et de pas grand chose ", avoir en permanence en " tête et en corps " que le théâtre de la vie, si l'on s'en amuse, ne manque pas de piment. En toute situation, il est " glorieux de connaître sa qualité dominante, et le caractère de sa fortune " (3), sans d'évidence en montrer " la moindre affectation " (3), et notre écrivain n'en manque pas. Le rideau rouge peut se lever et les masques s'agiter.

Nos chers donneurs de leçons ont ici trouvé qui lire, pour se départir de leurs funestes entreprises, ils devraient y gagner - en tout cas pour ceux qui sévissent encore en ces temps - en détachement élégant, en désespoir amusé, songeur et rieur, et comprendre, certes un peu tard, que la seule leçon que l'on puisse donner aux autres, est contenu dans cette pique que lança un jour Pablo Picasso à un curieux critique d'art : " je ne cherche pas, je trouve ! "

à suivre

Philippe Chauché

(1) Arthur Schopenhauer / Parerga / in " Insultes " Éditions du Rocher
(2) Frédéric Schiffter / Le Bluff Ethique / Fammarion
(3) Baltasar Gracian y Moralès / Le Héros / Editions Champ Libre

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