mercredi 24 juin 2009
Le Corps et la Voix (2)
" Au sommet du campanile j'embrassais Venise, aussi étalée que New York est verticale, aussi saumonée que Londres s'offre en noir et or. L'ensemble est lavé d'averses, très aquarellé, avec des blancs rompus, des beiges morts, relevés par le cramoisi sombre de façades pareilles à la chair du thon. Un air violent secoue la lagune, poussant des nuages aussi légers que ces nouvelles voiles en nylon des régates, au Lido. " (1)
Le corps de Morand s'enflamme à Venise, comme se sont enflammés d'autres corps, ceux d'Hemingway, de Stendhal, de Goethe, de Casanova, de Sollers, d'autres encore, inconnus, cachés, mis à l'index, censurés, oubliés, invisibles, silencieux, comment et pourquoi un corps va s'enflammer dans une ville, qu'elle est l'étincelle, d'où vient-elle, et pourquoi là et pas ailleurs, ce qui ne veut évidement pas dire que cela ne puisse pas se produire ailleurs, que d'autres villes, ici à deux pas de chez vous, ne déclenchent pas le même phénomène électrique, soyez-y attentifs, on ne sait jamais, vous pouvez, vous aussi vous enflammer, et voir ainsi ce qui semble invisible, c'est ce qu'il me dit en refermant le livre de Paul Morand, et si je vous avoue que je n'ai jamais douté qu'une ville soit un corps vivant, exceptionnellement sensible aux accords du Temps, vous comprendrez que ces mêmes questions se posent pour les corps qui mutuellement s'enflamment, même si j'ai quelques réserves sur le pluriel, car pour que cela se produise, il faut déplacer l'espace d'où vient la flamme, lui faire quitter l'Enfer pour le Paradis, c'est là que tout se complique, me dit-il, les corps qui s'enflamment ça va un temps, disent-ils, ils appellent d'ailleurs cela un coup de foudre, amusant, cette élévation donc, car il s'agit de ça, Morand, est dans l'élévation de ce qu'il voit, et cette élévation donne des mots et des phrases qui à leur tour enflamment son livre, demandez-vous alors cher complice, qui de l'Enfer ou du Paradis domine, vérifiez autour de vous, vous comprendrez très vite ce que je veux dire, et si vous me suivez, dans ce constat, qu'une ville est un corps, demandez-vous si un corps aujourd'hui est toujours un corps, s'il résonne comme résonnent les phrases de Morand, alors constatez comme moi que deux corps s'ils s'enflamment sur l'instant, l'un des deux va s'empresser, si je puis dire, de jouer les pompiers, doublement amusant, pour la simple raison que la flamme effraie, comme effraient d'ailleurs certains écrits, qu'il convient de dissimuler, car leur rencontre produit le même effet, ils vous enflamment au sens premier, inflammare, ils continuent à penser que les flammes mènent à poussière, alors que c'est l'inverse, pas étonnant alors, me dit-il, que la mort domine et que les corps soient ignifugés.
Exemple contraire, un corps et une voix enflammés, et une nouvelle fois, c'est une musicienne qui nous l'offre, aidée par un scissionniste qui a lui aussi enflammé Venise, mais qui s'en préoccupe, personne !
à suivre
Philippe Chauché
(1) Venises / Paul Morand / Le Cercle du nouveau livre / Librairie Jules Tallandier / 1971 / exemplaire N° 13058
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