lundi 15 février 2010
L'Année du Tigre (2)
Hu
Un Tigre à Venise, c'est à cela qu'il pense en ouvrant à nouveau le livre, un Tigre amoureux du Temps et de Venise :
" Elle pénétra alors dans la salle, resplendissante de jeunesse et de longue et altière beauté, et de cette désinvolture que lui donnaient ses cheveux ébouriffés par le vent. Elle avait le teint pâle, presque olivâtre, un profil à briser le coeur de n'importe qui, y compris le vôtre, et sa sombre chevelure formait une masse vivante, qui recouvrait ses épaules. " (1)
Loomis Dean - Malaga - 1960
" Le colonel l'embrassa longuement et sentit le corps jeune et souple, long et bien bâti, contre le sien, qui était dur et de qualité mais tout déglingué ; et, l'embrassant, il ne pensa plus à rien. " (1)
Et ce Tigre, pense-t-il, aimante de son regard la ville, par une étrange transmutation chimique, l'écrivain Tigre devient la ville :
" Ayant franchi la porte du place-hôtel Gritti, le colonel Cantwell se trouva dans les derniers rayons de soleil de la journée. Il y avait encore du soleil de l'autre côté de la place, mais les gondoliers aimaient mieux s'abriter du vent froid en restant le long du Gritti, que de profiter des derniers vestiges du soleil couchant, du côté de la place que balayait la bise.
Aprés avoir noté cela, le colonel prit à droite et longea la place jusqu'à la rue pavée qui tournait franchement à droite. A l'angle de la rue, il s'arrêta un instant pour contempler l'église de Santa Maria del Giglio. " (1)
Autre temps autre Tigre, et toujours Venise :
" J'ai vu, dans cette église du XVII° siècle, des religieuses en adoration perpétuelle devant le " Santissimo ", hostie blanche dans un ostensoir d'or, c'est-à-dire devant le Saint-Esprit en personne. Le rituel est le même dans la chapelle du Saint-Sacrement, à Saint-Pierre de Rome, juste après la Pietà de Michel-Ange, à droite, en entrant.
Il s'agit de charger le silence au maximum. Ca marche. Tout s'allège. Interrompre le bavardage humain est une des fonctions de la transmission.
L'Esprit souffle où il veut, il se tait à sa manière.
L'archange Gabriel, un lis à la main, annonce à Marie l'extravagante nouvelle. Eglise de Sainte-Marie-du-Lis, donc ; façade somptueuse, anges musiciens trompettistes, bas-reliefs représentant des batailles navales. A l'intérieur, une Vierge à l'enfant avec saint Jean de Rubens est d'une obscénité tranquille : une solide matrone aux seins pointant du corsage s'approprie deux garçons dodus et ravis. Attention à l'oeil de l'agneau, pourtant, qui en sait long sur ces choses intimes, et qui vous regarde, vous mortel, d'un oeil noir. Mais n'est-ce pas plutôt un bouc au pied fourchu ?
Le bouc, en effet, n'est pas loin, sur le campo San Maurizio, palais Bellavite, habitait le très libre et très inconvenant Giorgio Baffo (voir Baffo).
Dieu et le diable excellents voisins ? Seuls les dévots ou les dévotes de l'un ou de l'autre peuvent s'en montrer surpris, mais sûrement pas un Vénitien averti. (2)
L'Année du Tigre, l'Année des Délices, Venise, au centre tellurique du roman, c'est ce qu'il écrit, un oeil sur sa feuille, l'autre sur son visage qui illumine son écritoire.
à suivre
Philippe Chauché
(1) Au-delà du fleuve et sous les arbres / Ernest Hemingway / Oeuvres Romanesques / II / traduc. Paule de Beaumont / Bibliothèque de la Pléiade / Gallimard / 1969
(2) Dictionnaire amoureux de Venise / Philippe Sollers / Plon / 2004
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Je veux bien me réincarner en tigre tout de suite, si je pouvais revoir Venise une fois, chaque année, durant les cents années à venir !
RépondreSupprimerJe rentre de Venise ... et à vous lire, le charme est réactivé
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