lundi 8 février 2010

Meyronnis

" Le " monde ", comme ils disent, n'est qu'une fabrique à sommeil, un immense dortoir. La parlote sert aussi à nourrir la torpeur, à l'abreuver sournoisement. Combien d'êtres ne sortent du ronron que pour dévisser leur billard, à la fin des fins ? Sans avoir jamais rien entendu, rien vu, rien saisi... " (1)


Il se dit en refermant le livre, cet écrivain n'a décidément peur de rien. Il se dit aussi ce livre est un Manifeste, mais fort éloigné du sens que voulait en donner André Breton, il ne s'agit pas de fonder quelque association d'artistes révolutionnaires, ce que fonde ce Manifeste c'est l'acte nouveau du roman de la vie du renouveau, de la résurrection de la vie qui passe par la déchirure du Néant, et l'embrasement du Temps. Il ne vise personne d'autre que moi, note-t-il. Pour cela, il faut aller voir de près ce qui se joue dans la mort, passer en quelque sorte par l'Enfer, celui d'ici haut et celui d'ici bas, comme l'on dit, l'un n'ayant rien à envier à l'autre, les morts oublient de se préparer à vivre et les vivants en oubliant les morts s'acharnent à s'installer dans la mort. Il se dit aussi, que traverser les apparences n'est pas donné à tout le monde, il faut pour cela une rencontre, un motif, ce sera la statue de Balzac.

" Il était trois heures du matin, à peu près. Solitude intense dans le froid. Esseulement sans subterfuge. Levant la tête pour voir la statue, carrefour Vavin, une sorte de tangage m'a emporté. Le sol vibrait légèrement sous mes pieds. Il a d'abord oscillé de façon imperceptible, puis le roulis est devenu violent. Une torsion d'absence, voilà ce qui a traversé en flèche mon cerveau. " (1)

Il se dit, ce livre, ne ressemble à aucun autre, même s'il affine, concentre, tout ce qui déjà tramait les livres autres livres de Meyronnis (2), aucun autre Temps que celui d'une traversée, mais pour que cette traversée réussisse, le narrateur doit être à son tour traversé par le corps de Balzac, et cette traversée enfin possible fait apparaître le vide.

" Le vide découpe la lucidité dans l'énergie de ton souffle ", dit le Chinois. " Puis il se frotte nerveusement les mains.
Cette phrase danse des hanches au milieu du vent. Et ce déhanchement fait éclore des buissons de ronces dans l'air que je respire, des touffes et des touffes, comme si un mûrier sauvage plantait d'un coup ses tiges épineuses dans mes poumons, les lacérait de l'intérieur avec ses aiguilles crochues. Lucidité... Vide... " (1)

Il se dit, ce livre est un diamant dont les phrases brûlantes peuvent à chaque instant enflammer vos certitudes, vos croyances, vos admirations. Il ajoute il en va ainsi des beaux romans, il remettent le mot à sa juste place, et cela parfois ne se fait pas sans mal ou sans délivrance, c'est comme l'on veut, dit-il à celle qui l'écoute.

" Comme il est prétentieux... A croire que ce métazoaire anti-cercueil se prend pour la parole même.
- Un coup de pied au cul, tout ce qu'il mérite !
- Moi, je pense qu'il veut nous faire pleurer. Faire pleurer les démons...
- Ah, oui ? Comment ?
- Et s'il renversait contre nous le pouvoir des fentes et des lacunes ? Hein ? " (1)




Il en va donc de l'enjeu premier de la vie, dans cette aventure de Simon Malve, vers le bas où sont les morts, note-t-il. Il lit :

" Un ramdam terrible, à faire sauter les tympans, nous accueille en bas. Si forte, la vibration, qu'il me semble que mon crâne éclate. Ce bruit ressemble à un vagissement suraigu, à une plainte d'une telle intensité qu'elle tourne au souffle de la destruction. Avant d'identifier la provenance du vacarme, il un certain laps. Hué du peuple des morts, le phénomène. Clameur tenant à l'arrivée d'un vivant en son sein. " (1)

Il lit, et les éclats de Meyronnis convoquent ceux de Dante, même périple en terre terrible, même décision héroïque d'en retourner la terreur.

" Déjà venait par les troubles eaux / le fracas d'un son plein d'épouvante / qui faisait trembler à la fois les deux rives, / tout semblable à celui d'un vent / impétueux, né de chaleurs contraires / qui frappe la forêt et sans aucun obstacle, / arrache, abat et emporte les branches, / allant de l'avant, poudreux, superbe, / faisant fuir les bergers et les bêtes féroces. / Il délivra mes yeux, et dit : " Tends maintenant / la nerf de tes regards vers cette écume antique / là où la fumée est la plus noire. " (3)

Et ce retournement vient de ce territoire des morts, le traverser pour ensuite s'en détacher, comme un envol de joie.

" Les deux pans de mon manteau gonflent et se tordent, l'air me roule, jette partout mes membres. De rayon en rayon, il m'agite, éventail que les doigts du vent feraient tourner sur lui-même. Je deviens l'aide de la bise mordante. Découpé dans du papier de soie, je pique dans les flots de lémures. Comme si je m'ébattais au creux de l'univers, je glisse entre leurs vagues...
Suis-je une ombre ?
Une fleur ?
Un spectre d'envol ?
Non : seulement une spirale à gestes, qui flotte dans l'impondérable. Avec, autour d'elle, les trombes étincelantes des morts, comme l'écume d'un ouragan. Certitude, tout à coup, de

TRAVERSER LE SAC. " (1)

Lorsque l'on écrit ainsi, on ne peut que déjouer la mort et ses complices, note-t-il, et les éclairs peuvent alors surgir.

" Un homme qui n'appartient pas rencontre une femme qui n'appartient pas... Muer en chance ce qu'il y a de périlleux dans le refus, difficile de mieux définir la faveur. " (1)

Il reprend le mot à son compte, faveur, faveur, faveur, écrit-il, trois fois sur son écritoire. Faveur aussi de Rabbi Nahman, " le sage caché qui vivait dans les terres slaves, à l'époque de Napoléon "(1), faveur du roman et de sa délivrance, et " la sagesse vient . " (1), et comme écrivait un autre scissionniste, il convient de reprendre le livre par où on l'a commencé.

à suivre

Philippe Chauché


(1) François Meyronnis / Brève attaque du vif / L'Infini / Gallimard
(2) François Meyronnis / Ma tête en liberté / L'Axe du Néant / De l'extermination considérée comme un des beaux-arts / et avec Yannick Haenel / Prélude à la délivrance / L'Infini / Gallimard et tous les numéros de la revue Ligne de risque
(3) L'Enfer / La Divine Comédie / Dante / traduc. Jacqueline Risset / GF Flammarion

1 commentaire:

  1. Bonjour.
    Tiens, une non-critique.
    Quelques critiques moins orientées ici, sur les ouvrages de MM. Sollers, Meyronnis et Haenel :
    http://stalker.hautetfort.com/archive/2009/01/21/la-connerie-de-philippe-sollers-se-porte-bien.html
    Cordialement.

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