lundi 26 septembre 2011

Ma Librairie (17)


photo Robert Demachy

" L'écriture n'a jamais été ce que Jacques Derrida, après Rousseau, appellerait un " dangereux supplément " à la pensée ; elle n'est pas non plus seulement la " manifestation " de la pensée. En réalité, elle est la pensée elle-même. Car il n'y a pas e pensée préalable et en quelque sorte préfabriquée. Il n'y a pensée qu'à partir du moment où celle-ci se formule, c'est-à-dire se constitue par la réalité des mots. Comme il n'y a de sonnet qu'à partir du moment où il est écrit ( " Un sonnet se fait avec des mots ", disait Mallarmé à Degas ) ; comme il n'y a de peinture qu'à partir du moment où celle-ci est peinte. " (1)

Toute phrase rêvée et non écrite est semblable à un corps fantasmé et jamais touché, note-t-il, en reprenant le petit livre du lumineux Clément Rosset ; c'est bien pour cela, qu'il convient de garder le silence sur ce qui n'est pas encore écrit, de même qu'il convient de taire ce que l'on est en train d'écrire, faute non seulement d'en perdre à jamais le fil, mais aussi d'en dénaturer ce qui s'écrit par la parole, qui en dira toujours plus, alors que par essence, écrire revient à s'éloigner de ce que l'on est amené à en dire. Écrire est l'acte le plus silencieux du monde, car son mouvement permanent n'est visible et sensible que lorsqu'il s'accomplit.
Le réel n'est pas un bien commun, mais un saisissement personnel, et rien n'est plus réel que ce que l'on est en train d'écrire, son partage, si partage il y a, n'interviendra que plus tard, lorsque cela sera écrit, et donc pensé.
Que tout cela se fasse dans la langue française, n'est, pense-t-il, pas un hasard, langue jamais autant vivante et réjouissante que lorsqu'elle prouve phrases à l'appui, que tout ne s'est joué que durant l'écriture, Proust et quelques autres en sont la preuve saisissante.

" J'en reviens donc au " choix des mots ", expression par laquelle je désigne ici à la fois la décision d'écrire ( inséparable, à mon sens, je le répète, du fait de penser ) et l'élection des vocables, des phrases, censées " manifester " cette pensée ( alors qu'en réalité ils la constituent de toutes pièces ). Ce dernier choix est essentiel, puisque de lui dépend non seulement la forme mais le contenu même de ce qui se donnera à lire et à penser, - il n'y a d'ailleurs pas lieu, si l'on est en accord avec ce qui précède, de distinguer réellement entre forme et contenu, ni entre lire et penser. Il en va sur ce point de tout texte, philosophique ou pas, comme de toute production, par exemple plastique ou musicale : c'est au moment de la " réalisation " que tout se décide. " (1)

à suivre

Philippe Chauché

(1) Clément Rosset / Le choix des mots / Les Éditions de Minuit / 1995

2 commentaires:

  1. Toute phrase rêvée et non écrite est semblable à un corps fantasmé et jamais touché...

    "Il y aurait une écriture du non-écrit. Un jour ça arrivera. Une écriture brève, sans grammaire, une écriture de mots seuls. Des mots sans grammaire de soutien. Egarés. Là, écrits. Et quittés aussitôt." .
    Voilà ma chère Marguerite qui vous répond en écho du fond de sa cuisine de la rue St Benoît.
    La rencontrer a été...je ne sais dire, TOUT, je crois oui, tout pour pouvoir écrire.
    Je vous embrase, merci pour le lien.
    Maia

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  2. Chère Maïa,
    Ecrire relève souvent d'une révélation, et toute rencontre avec un corps de mots, ou les mots d'un corps d'une illumination.
    Ici l'été se poursuit, et je suis frappé d'estonement.

    Belle journée.

    Philippe Chauché

    ps : à quand quelques nouvelles photos taurines ?

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