dimanche 27 mai 2012

Un Mois Sur La Terre 1




" La brièveté est flatteuse et plus avantageuse dans le commerce du monde ; elle gagne par sa politesse ce qu'elle perd par sa petitesse. Entre deux mots, il faut choisir le moindre ; et les maux et les sons, s'ils sont brefs, ne sont qu'un moindre mal. La quintessence est plus efficace que les farragos. " (1)

Le quotidien Libération, journal fin, délié, brillant, et moderne, vient de congédier son collaborateur taurin Jacques Durand, avec l'élégance commune aux bourgeois dont il est bien volontairement le bras armé. A relire avec une attention particulière ce que cet homme a écrit, on est, note-t-il, surpris que la sentence ne soit pas tombée plus tôt, d'évidence les caviardeurs à capuches ne lisent pas ce qu'ils impriment, trop occupés semble-t-il, à répondre non sans quelque mimétisme canin aux invitations littéraires et sociales que leur lancent les disciples de Camus et de Bourdieu, et les coursiers de Debray et d'Onfray. " Point de lendemain taurin " ce sont-ils dit, n'étant plus invités à poser leur suffisance aux barreras de Nîmes, de Séville ou de Madrid, et toujours très affûtés du politique, d'ajouter : " voyez ce qu'il se passe en Catalogne ", l'air du temps, n'est plus d'évidence aux " silences cultivés de la Maestranza ", au " gardien du temple ", au " rendez-vous de Ronda ", au " torero de la Marisma " ou à " Victorino le sorcier " :

" En réalité, Rafael de Paula torée toujours, même lorsque son valet d'épée plie, la course achevé, ses étonnantes capes aux revers bleus ou verts. Le compas ( la mesure ), concept incarné qu'il utilise pour déchiffrer le torero, est aussi dans sa bouche un mode d'être dans la vie, une éthique reçue comme une grâce.
C'est le compas qui favorise la technique, étayée par la pratique de la Colocacion - de l'emplacement juste et précis - devant le taureau. " Si tu n'as pas le compas devant un taureau, dit-il, si tu ne sais pas présenter la cape, la muleta, marcher, toréer à compas, tu es desclorado ( hors de propos ) et tu vas au désastre. C'est comme El ir por la vida sin estilo ( avancer dans la vie sans style ). " Le toreo de Rafael de Paula, naturel, baroque et essentiellement lyrique, est un style enfanté dans la vicissitude des tâtonnements et la projection de son être. " (2)

Libération est bien un journal sin estilo.




Le journaliste Gorka Landaburu peut désormais s'asseoir à la terrasse d'un café de Saint Sebastien et y boire un verre en bonne compagnie sans craindre pour sa vie et celle de ses proches, les assassins de l'ETA ont semble-t-il définitivement cessé leurs diaboliques activités nationalistes, les commanditaires de l'attentat qui l'a gravement blessé sont sous les verrous où ils coulent des jours malheureux, ils vont pouvoir lire ou relire Manrique :

" Où sont à présent les dames,
Leurs coiffes, leurs vêtements,
Leurs parfums ?
Où sont maintenant les flammes
Des feux qui brûlèrent tant
Les amants ?
Mais où sont leurs poésies,
Et les suaves musiques
Qu'ils jouèrent ?
Que reste-t-il de leurs danses,
Et des habits chamarrés
Qu'ils portèrent ? " (3)

Les martinets sont revenus et griffent le ciel, inspirateurs gracieux de peintres sévères et secrets.

à suivre

Philippe Chauché

(1) Baltazar Gracian y Morales / Oraculo Manual / traduc. Benito Pelegrin / Éditions Libres Hallier / 1978
(2) Figures de la tauromachie / Jacques Durand / Seghers / 1990
(3) Stances sur la mort de son père / Jorge Manrique / traduc. Guy Debord ( d'évidence ce qu'il a fait de mieux ) / Éditions Champ libre / 1980

3 commentaires:

  1. Cher Philippe,

    Les assassins de l'ETA seront condamnés à lire Libération au fond de leur trou.

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  2. Ah l'Espagne, sombreros mantilles et corridas, tapas, etarras...

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  3. D'un château l'autre vous embrasse.

    Philippe Chauché

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