jeudi 13 juin 2013

Des Grives aux Merles


" Finalement, les difficultés que nous éprouvons à saisir son énormité ne vont-elles pas de pair avec la quasi-impossibilité dans laquelle nous nous trouvons de cerner ce siècle où il s'est déployé, cette ère de meurtre absolu à laquelle il a osé donner une littérature ? Car enfin il avait tout prévu, férocement, il avait adhéré à tout le négatif de l'époque, il l'avait saisi dans la prolifération de ses sens. Derrière l'optimisme qui comptabilise la marche du progrès et de la révolution, il a répété qu'il n'y avait en fait que déroutes et ruines. A ceux qui cherchent leur espoir en une opposition radicale du capitalisme et du socialisme, il a répondu de mille façons que les deux, au contraire, s'emboîtaient harmonieusement, ne pouvaient fonctionner à plein régime qu'ensemble et solidaires. Il a eu l'audace de dire que le prolétariat était un fantasme de bourgeois, la lutte des classes un semblant cachant la vérité d'une autre guerre ancestrale. A la dialectique il a donné effrontément le nom de " bafouillage ". Quant à notre réalité dévastée sur laquelle règne la pensée technicienne, il l'a imprudemment appelée " décor de chaises électriques ", au lieu d'en apprécier comme tout le monde le formidable confort. Bref, il a déplu, il déplaît, il déplaira sans doute éternellement. A l'académisme qui lui préférera toujours Drieu et Aragon, comme au progressisme sans cesse contraint de se retailler dans ses loques un Céline d'avant-garde anal, pervers polymorphe, creusant la superbe coupure épistémologique à grands coups rythmés pulsionnels. "

Comme Céline, Muray a de son temps déplu, mais si Céline déplaît toujours autant, Muray s'affiche, des bateleurs, des penseurs pesants, des journalistes chichiteux s'en drapent, ils en font un penseur actuel, faute à leur tour de déplaire et de saisir de ce qui en ces temps mérite un déchirement précis et médical. Signe des temps, où faute de grives on mange des merles.





à suivre

Philippe Chauché 

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