mardi 15 janvier 2008

Sollers toutes voiles dehors

Les prix littéraires décernés, et mis à part Yannick Haenel et son Cercle du bonheur et du corps en mouvement, (prix Décembre), les autres tiennent bien leur place dans cette France de plus en plus moisie, où la littérature fait de la littérature pour le plus grand bonheur des éditeurs, des libraires et des lecteurs, qui ne savent plus lire. On peut donc passer à autre chose, c’est à dire à la littérature, à la musique, à la peinture, à la philosophie, à la poésie, et donc à la vie. Ce qui est réjouissant en cette fin d’année, c’est la présence vivifiante d’un écrivain bordelais, chinois, espagnol, italien, parisien, new yorkais et vénitien. Un écrivain du siècle, et finalement de tous les siècles, qui avance en pleine lumière. Son nom : Philippe Sollers.
L’homme d’une Curieuse solitude, de Paradis I et II, de Femmes, mais aussi des Folies Françaises, de Studio ou encore du Secret et d’une Vie Divine, un écrivain divinement vivant, ce qui est en ces temps inacceptable, ajoutez à cela que cet homme poursuit sa guerre du goût sous les lueurs des projecteurs des plateaux télévisés, devant les caméras et les micros, doublement inacceptable. Présence de Sollers :

L’Infini N° 100

Discrète présence dans la permanence de sa revue l’Infini. Le numéro cent est là devant vous, un numéro très chinois, « que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent » que cent romans s’écrivent, qu’ils naissent ici, sous la protection de Cézanne, Marcelin Pleynet :« Que j’accomplisse ce qui se trouve dans l’éternité... la mer... le soleil... les îles... Venise, l’enveloppe rose. Le Dieu qui fait tout pour les mortels est aussi celui qui donne la grâce. Que la grâce me soit donnée. », dans une autre géographie européenne de la littérature vivante, Jacqueline Risset : « Ce soir Messian : Abîmes des oiseaux, quatrième mouvement du Quatuor pour la fin des temps (clarinette pensive, transparente, agile : abîme du temps, joie des oiseaux) entendu dans le concert sur la place au-dessus de la mer - mer soyeuse et silencieuse, bruissements de voix et rires au loin, bruit régulier du train dans les collines, le tout se mêlant sans les troubler aux notes des musiciens éclairés plus bas, sur le parvis. » , musicienne dantesque, on est curieux de savoir si le Festival d’Avignon qui se prépare à la Divine Comédie aura l’élégance (la qualité de ce qui est d’élite) d’inviter celle qui en offrit une vivifiante traduction, dans les instants éclairs de la raison du goût, Vincent Roy et Saint-Evremond : « Les voluptueux reçoivent une impression sur les sens qui va jusqu’à l’âme... »L’Infini est une étoile où brillent Sollers et ses invités, invités qui savent se tenir, autrement dit qui savent écrire, le savoir permet de saisir l’enjeu de la "guerre du goût" que le vibrant bordelais arbore au revers de sa veste d’Européen - Gascon.

Guerres secrètes
Présence de Sollers suite

Sollers et ses Guerres secrètes, le pluriel est essentiel, comme est pluriel Sollers et comme est pluriel également Ulysse. Mon nom est personne, autrement je suis partout à la fois, mon pluriel devient "personne" ceux que cela trouble doivent lire ce livre magnifique, vif, musical, profond, intelligent. Ulysse-Sollers, Joyaux-Homère, Homère joyau de l’écriture, Sollers joyau de la pensée et de l’acte - pour lire mes pensées regardez ce que je vis et ce que je fais - mais attention nous sommes là dans d’autres actes fondateurs, très éloignés il va s’en dire des actes promus en lois par le système de surveillance qui a cours ces temps-ci en France. Loin, bien loin des lois "people", des lois de contrôle par l’ADN, (l’Apparition Du Néant) loin, très loin des leçons permanentes que nous imposent les nouveaux amis de la "Terreur" moderne, très loin également, et il faut le marteler des sectateurs incultes d’un "alter mondialisme" unificateur. Lisons :
« "J’ai vu l’enfer des femmes là-bas..." nous dit Rimbaud. Les vivants qui sont morts, qui sont d’une "vivacité pérenne" après leur mort, sont en général des personnages-œuvres. Ils ont tous écrit quelques chose. Ces morts-là sont dans la vivacité pérenne. (C’est moi qui souligne) Ils n’ont pas à être vivants, ils sont dans la vie constante. »
Sollers plonge dans le corps du poème, le corps, pas le cœur, c’est important, dans le corps, autrement dit dans la pulsation, dans la rythme, dans la musicalité du texte, et donc dans son sens, et sa partition cachée, c’est son propos depuis fort longtemps, et dans ce plongeon vital il délivre Homère du piège que lui ont tendu et continuent de lui tendre les "chiens de garde" de la Terreur. On n’est finalement pas Girondin pour rien. Ce qui en passant est également mon cas. On ne "vient pas au monde" par hasard dans une ville où la Garonne, le Vin, Mauriac et Hölderlin se croisent.
« Ainsi, encore une fois, j’aurai gravi la colline des grappes/ Avant que la lumière ne descende aux lointains d’or / Ah ! quelle aise est la mienne ! Je tends avec fierté (Comme si mes bras étreignaient d’infini) jusqu’aux nuages / Mes mains jointes, pour rendre grâce, avec une noble émotion, / A celui qui les crée, de m’avoir donné un cœur. / Pour partager l’heur des heureux, pour contempler le triomphe de l’automne, / Quand ils élèvent au-dessus d’eux la précieuse grappe avec / Une stupeur sereine, et qu’ils hésitent longtemps encore à confier / La baie brillante aux mains du pressureur - comme le vieillard / Emu dans ses boucles d’argent devant la vigne vendangée / ... »
(La Tek - Fragment-).
J’ai une nouvelle fois traversé la ville qui dormait, une nouvelle fois activité ma mémoire vivre de l’ordinateur céleste qui m’accompagne. Une fée attentive, généreuse, rare, brillante, lumineuse, musicienne m’accompagne, le monde change sous les feux de tes yeux, et j’en suis heureux.

De Kooning vite

Présence de Sollers donc, une nouvelle fois. Ce peintre à un visage, un regard, une main agile. Cet homme est beau, vite il surgit, vite il peint, vite il disparaît. Rien ne peut le contraindre. De Kooning vite délivre la peinture des emprises du malheur. « La seule arme que vous avez, dans ce match, est vous montrer sans cesse non localisable. Le fameux "non-environnement" de de Kooning n’est pas plus bouddhiste qu’einsteinien, c’est ça... Changez de position. Tout le temps. Cavalier des échecs. Ca veut vous assigner, voilà tout. Résidence surveillée. Contrôle judiciaire. Surveillance des bornes et des dimensions du récit. Bien entendu, Woman a fait scandale." Les peintres sont scandaleux, pour le vérifier, regardez l’intérieur de Woman Springs 1966, prêtez l’oreille à Screams of Chidren come from Seagulls, 1975. Vos couleurs ont une bien étrange pulsation, votre mouvement frappe directement au muscle, votre musique est troublante. A bon ? La peinture vient de tout cela ? Peut-être ! Regardez où j’en suis avec la liberté, de peindre, de vivre, de jouir, d’être ici et ailleurs en même temps. Le bordelais s’est assis au fond du musée, dans l’ombre il se projette sur les toiles. Un vampire ? Cela serait trop simple. Un curieux ? Si vous voulez ! Un capricieux. Tiens donc, les caprices de la couleur musicale sont l’écho, des caprices de l’écriture. Voilà, c’est la Différence qui s’en charge une nouvelle fois, belle idée. »
Un Vrai Roman / Mémoires
"Et maintenant, Roman", c’est daté du 5 novembre 2007. Je viens de terminer Un Vrai Roman / Mémoires de Sollers. Quatrième escale.
Traversée du temps, un écrivain comme une flèche vrille l’espace. Ecrivain de l’escale - les ports, Bordeaux, Ré, Paris (et oui Paris est un port, vous en doutiez ? Vérifiez par vous-même, île des Cygnes, plus loin vers Notre Dame, la pointe occidentale de l’île de la Cité (Il y a temps de déchirer et temps de rejoindre, temps de se taire et temps de parler.. G Debord - In Girum Imus Nocte), Venise, New York, Barcelone et j’en oublie sûrement ! Nous voilà dans ce Roman, ce roman particulier, ce roman du je, ce roman de l’écriture et donc de la vie permanente. Passe les femmes, passe les écrivains, traverse les rues libérées (souvenez-vous de ce mois de mai, souvenez-vous et dites ce souvenir, l’urgence est là aujourd’hui car les falsificateurs élus, (comment pourrait-il en être autrement !), écrit des romans, des essais sur les peintres (et oui !), des textes qui giflent le nihilisme dominant, le sérieux est là, le rire s’installe, le doute s’insinue, la douleur parfois, l’amour de l’amour toujours, les femmes courtoises, intelligentes, les femmes qui écrivent autre chose (et c’est heureux) que leurs histoires de femmes, participe du spectacle avec un art toujours renouvelé de le retourner, ce n’est peut-être par innocent que notre écrivain sache ce qu’il en est du tennis ! Et tout cela est un Roman, c’est bien-là le danger, s’exposer pour mieux s’extraire, de montrer pour mieux se cacher, avancer dans la lumière lorsque on vous veut proie dans l’ombre !
Retour aux rues d’Avignon, sombres ce soir, retour au présent actif, et la lumière revient, elle a les yeux verts et ne craint pas les tempêtes.

Philippe Chauché
Décembre 2007, texte publié sur le site pileface.com

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